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de ceux qui résolument renoncent aux voies violentes ; mais parmi ceux qui n’y renoncent pas, mon impartialité est complète, — impartialité qui n’est point de l’indifférence, car c’est le cœur déchiré que j’ai assisté à mainte péripétie de notre récente histoire. »

Les mêmes principes expliquent son attitude d’historien devant le christianisme et celle qu’il prit comme législateur, en une occasion solennelle, devant les pouvoirs qui lui semblèrent manquer de libéralisme et de tolérance. On s’étonnait parfois, dans le parti de la démocratie avancée, de trouver en lui des jugemens empreints d’une certaine faveur sur le rôle historique du christianisme dans le monde. M. littré l’expliquait par une simple distinction. En tant que disciple de la doctrine positive, il appartenait à un parti philosophique, et, là, il était l’adversaire des théologies ; il insistait sur l’incompatibilité qu’il croyait saisir entre elles et la conception moderne du monde. Mais tout autre était et devait être son langage quand il parlait en historien. Alors il se rappelait que les religions entrent dans la contexture intime du développement de l’humanité ; que ce développement ne peut être séparé de leur action et que, tout compensé, puisqu’on loue le point de civilisation où nous sommes arrivés, ont doit faire la part de ces collaboratrices assidues et puissantes dans l’œuvre accomplie. « Celui qui verrait dans cette nouvelle attitude une contradiction ou un démenti de moi-même, ferait preuve d’étroitesse d’esprit et de bien lourds préjugés[1]. »

Ce ne serait pas non plus une contradiction dans la pratique ni un démenti à lui-même, si, devenu homme de gouvernement et ayant à gérer les intérêts matériels et moraux de nos sociétés si complexes, M. Littré avait tenu pour son devoir politique le plus strict de faire jouir les théologies de la protection et de l’indépendance que l’état doit à toutes les doctrines. Ce fut l’objet spécial d’un écrit très curieux, publié presque simultanément dans la Revue de philosophie positive et dans le journal le Temps en 1879, sous ce titre : le Catholicisme selon le suffrage universel en France, et qui fit une sensation profonde dans les deux partis, celui avec lequel votait d’ordinaire M. Littré et le partir contraire, l’un scandalisé de l’éclat d’une telle dissidence, l’autre étonné d’une pareille impartialité. Au fond, M. littré était fidèle à lui-même et à ses idées. Certes il n’était pas tendre pour le cléricalisme ni pour les jésuites. Combattre leurs entreprises lui paraissait un des principaux soucis de la politique présente ; il s’effrayait un triomphe possible de leurs doctrines et les étalait non sans âpreté. Mais

  1. Revue de philosophie positive. Mars-avril 1880.