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pour lui la question n’était pas une question de doctrine. Pour écarter le péril de ce triomphe redouté, deux systèmes étaient en présence : l’un, le préventif, procède par des lois d’exception qui frappent d interdit telles ou telles associations, tel ou tel enseignement; l’autre, le répressif, n’ayant recours à aucune arme particulière, réprime quand il y a lieu, mais s’en rapporte pour la défense des plus chers intérêts nationaux à l’ensemble des institutions laïques vigoureusement soutenu et développé[1]. C’est de ce point de vue que M. Littré juge ce grand débat et résout la question avec une singulière fermeté de principes. Il se déclare, en tout état de choses, l’adversaire du système préventif et des mesures d exception; dans le cas particulier qui se présente et qui est relatif à la liberté d’enseignement, il les juge inutiles et nuisibles et il en donne abondamment ses raisons. Le régime de la liberté est à son avis, non-seulement plus efficace que l’autre, mais le seul efficace avec de la constance, de la modération et de l’habileté. On parle de représailles légitimes. Eh quoi! nous dit-on, faut-il donc accorder la tolérance à qui ne tolère pas? Faut-il accorder la liberté à qui la refuse à autrui? M. Littré n’hésite pas à dire : Oui. Depuis longtemps les laïques, les sectateurs des idées et des institutions modernes prétendent l’emporter en moralité, c’est-à-dire apparemment en justice et en équité, sur les l’auteurs des doctrines théologiques ; le principal témoignage de cette supériorité, la plus précieuse de toutes, est justement la tolérance qu’ils pratiquent à l’égard de leurs adversaires et malgré eux et qui est le nouveau labarum, portant comme l’ancien : In hoc signo vinces. — « Mais faut-il donc permettre aux jésuites de former, au sein de la nation, une nation ennemie toujours disposée à ruiner de façon ou d’autre tout l’établissement laïque? — Cette nation ennemie, qui existe, continuera d’exister, n’en doutez pas, soit qu’on interdise ou non l’enseignement aux jésuites. Les convictions religieuses qui l’entretiennent défient les mesures temporelles. Ce sont des convictions contraires qu’il convient de lui opposer, et ces convictions contraires ne manquent pas, car elles ont fait la France ce qu’elle est. Sachons donc en prendre notre parti et nous résigner à ce danger bien connu, ni surfait ni atténué. Rien d’ailleurs n’est plus salutaire, quand on sait s’élever au-dessus des infatuations qu’une menace toujours présente et le frein auquel nous soumet la vigilance redoutable d’un ennemi acharné[2]. »

Telle est en substance cette fameuse déclaration de principes qui fut comme son discours suprême au sénat, discours que sa timidité

  1. Revue de philosophie positive, septembre-octobre 1879.
  2. Ibid., p. 239 et 242.