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préparer trop particulièrement à ce dernier passage est difficile ; il comporte tant de diversités et de hasards! Il y a longtemps que je dis à moi et aux autres : « On meurt comme on peut, non comme on veut. La chance règne dans la mort comme dans la vie. » Il remarquait d’ailleurs que, dans la manière d’envisager la destruction finale le caractère a bien plus de puissance que les croyances, et que, d’après le caractère, les préparations doivent être différentes. Ceux qui acceptent sans regret ni affliction la nécessité de la mort n’ont qu’à s’entretenir dans ces sentimens; ceux qui la détestent et en remissent « doivent s’efforcer d’agir sur eux-mêmes, chercher dans les affections et les occupations un palliatif et gagner ainsi le moment où le coup qui nous attend tous sera porté. »

Dans laquelle de ces dispositions d’esprit la mort vint-elle atteindre M. Littré? Nous n’en savons rien. Ici s’arrête sa vie écrite, la seule que nous ayons le dessein d’analyser. Que se passa-t-il dans les derniers temps de cette noble existence? La question est posée-elle sera résolue sans doute un jour ou l’autre; mais elle échappe complètement à notre juridiction; un respectueux silence est pour nous la seule manière d’y répondre. Nous avons entrepris une tâche qui n’était pas sans difficulté, celle de faire exposer et raconter par M. Littré lui-même cette vie toute de travail et de réflexion, l’histoire de ses labeurs presque infinis, l’histoire inférieure et souvent dramatique de son esprit. On ne peut quitter un tel homme, en quelque dissidence que l’on soit d’ailleurs avec lui, sans être pénétré d’une sympathie profonde et d’un respect absolu pour cette dignité simple de conscience, pour cette sincérité qui ne veut laisser derrière elle, volontairement, le germe d’aucune erreur et qui emploie ses dernières années à une sorte d’examen de conscience rigoureux, non dans l’ordre de ses actes, mais dans l’ordre des idées, où il reconnaît qu’il a pu se tromper souvent. C’est l’homme que nous avons étudié d’après lui-même. Une autre fois nous étudierons le philosophe; ou plutôt, à l’occasion de sa philosophie, certaines tendances de l’esprit du XIXe siècle qui en ont fait la fortune momentanée» »


E. CARO.