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discipline d’intelligence. D’ailleurs un esprit qui se fixe par là même se limite et se ferme ; il devient étroit et exclusif. Pour avoir trop embrassé certaines choses, il est incapable de tout comprendre, ce qui paraît à M. Renan la plus grave des imperfections. Saint Paul a pu visiter Athènes sans être touché des chefs-d’œuvre qu’il a rencontrés sur sa route. Sa foi était trop raide, son monothéisme trop absolu pour qu’il pût en saisir la beauté ; en face de ces merveilles, il n’a éprouvé qu’un sentiment de colère. « Son esprit, dit l’auteur des Actes, s’aigrissait en lui-même quand il voyait la ville remplie d’idoles ; » et il les a vouées d’avance à la destruction. « Ah ! belles et chastes images, dit M. Renan, vrais dieux et vraies déesses, tremblez ; voilà celui qui lèvera contre vous le marteau. Le mot fatal est prononcé : vous êtes des idoles ; l’erreur de ce laid petit Juif sera votre arrêt de mort. » Il y a loin de ces paroles à l’admiration sans limite que la plupart des historiens nouveaux du christianisme professent pour saint Paul. On l’a mis sans contestation au-dessus de tous les apôtres, et il est sûr que par le génie il les dépasse ; mais ils ont sur lui cet avantage d’avoir connu le Christ, tandis qu’il n’a pas entendu sa parole et recueilli de sa bouche ses enseignemens. Ce qu’il rappelle à M. Renan, c’est Luther, c’est Calvin, ce sont les héros de la réforme. Par son ton dur et tranchant, par son âpreté dans les discussions, par la violence de son langage, par son attachement intraitable à ses doctrines, il est le premier des protestans. Ce fut donc un homme d’action incomparable, dont le rôle a été immense dans l’histoire de l’église ; mais quant à vouloir en faire le véritable fondateur du christianisme, comme on l’a quelquefois prétendu, quant à lui donner une place égale ou supérieure à Jésus, — car on est allé jusque-là, — M. Renan le trouve déraisonnable, et il s’y oppose de toutes ses forces. « Ce n’est pas l’Épître aux Romains qui est le résumé du christianisme, c’est le Discours sur la montagne. Le vrai christianisme qui durera éternellement vient des Évangiles, non des Épîtres de saint Paul. Les écrits de Paul ont été un danger et un écueil, la cause des principaux défauts de la théologie chrétienne. Paul est le père du subtil Augustin, de l’aride Thomas d’Aquin, du sombre calviniste, de l’acariâtre janséniste, de la théologie féroce qui damne et prédestine à la damnation. Jésus est le père de tous ceux qui cherchent dans les rêves de l’idéal le repos de leurs âmes. »

Les Actes des Apôtres s’arrêtent l’an 61, quand saint Paul arrive à Rome conduit par le centurion Julius. A partir de ce moment, le jour cesse et la jeune église se couvre d’une obscurité qu’il nous est bien difficile de percer. Aucun récit authentique ne nous a transmis les dernières années de Pierre et de Paul. C’est à peine si, sur la mort des deux grands disciples de Jésus, quelques traditions