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cliens, et c’est une pluie de propositions de dépenses qui sont gagées par des plus-values. Au fur et à mesure que celles-ci se produisent et exercent sur les esprits leur influence excitatrice, les crédits supplémentaires s’accumulent, et l’on fait si bien que le budget de 1881, en dépit de ces 229 millions de plus-value, se solde en déficit réel de 12 millions. Chaque année, cependant, le même manège se renouvelle et les plus-values, qui devraient être pour le pays une cause d’allégement d’impôts, tendent à devenir indirectement la cause de nouvelles charges. C’est que ces plus-values tiennent en grande partie à ce que l’on a évalué trop bas les recettes prévues dans le budget primitif.

Chez les nations modernes où la population augmente et où l’aisance s’accroît par l’épargne, par l’accumulation des capitaux, par les inventions de la science et les progrès industriels, les impôts doivent donner chaque année un produit croissant. En France, la population grandit de 100,000 âmes tous les ans, et c’est bien peu : voilà donc 100,000 consommateurs nouveaux, qui, à eux seuls, toutes choses restant égales, doivent faire hausser d’un trois-cent-soixantième, soit de 7 à 8 millions de francs, le rendement des impôts ; mais c’est là la moindre cause de plus-value. Dans le même pays, l’épargne capitalise chaque année 2 milliards de francs environ qui viennent grossir la richesse nationale et l’augmentent de plus d’un centième; voilà encore une seconde cause qui doit ajouter de 25 à 30 millions par an au produit des taxes. Enfin, les progrès industriels et les découvertes de la science viennent aussi chaque année augmenter la productivité du travail national, et c’est encore une cause de développement des transports, des transactions, de la consommation, par conséquent du produit des droits dont les consommations, les transactions et les transports sont grevés. Que le rendement des taxes donne à peu près régulièrement une plus-value variant entre 70 et 120 millions de francs, c’est donc un phénomène naturel, facilement explicable. Tous les pays civilisés en sont là; il n’y a entre eux et nous qu’une différence de degré; pour ne pas parler des plus riches, comme les États-Unis et l’Angleterre, voici l’Italie, qui, dans la dernière année, a bénéficié d’une plus-value d’impôt d’une cinquantaine de millions de francs; en Espagne, ce dernier chiffre est au moins atteint. L’erreur, c’est de croire que ces plus-values, qui sont régulières, qui représentent 3, 4 ou 5 pour 100 du produit des impôts, puissent prendre et conserver des proportions extravagantes. Quand le budget de 1881 jouit d’une plus-value officielle de 229 millions, c’est un mirage. La plus-value réelle est moitié moindre; elle ne s’élève qu’à 100 ou 120 millions. Cette énormité de la plus-value apparente vient de ce que, au lieu de calculer les recettes d’un budget d’après les recettes effectuées