Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
M. DUFAURE
SA VIE ET SES DISCOURS

I.
LES ANNÉES DE JEUNESSE, LE BARREAU DE BORDEAUX.
(1798-1834)

Certains hommes ont apporté dans la politique, même la plus libérale, l’instinct du commandement, d’autres se sont contentés de chercher l’influence et ont trouvé le respect. Celui dont je veux parler n’a jamais eu la prétention de dominer ses contemporains ; il n’avait d’autre souci que de les éclairer et de les convaincre. Quelque gloire qu’il mît à mériter leur estime, il prisait plus haut encore le jugement de sa propre conscience. Très mêlé aux sentimens de son siècle, en plein accord avec l’élite de sa génération, il est demeuré isolé, replié en lui-même, ne cherchant à exercer d’action sur les hommes que par l’autorité de la plus sévère éloquence, rappelant les jurisconsultes du XVIe siècle par sa verte rudesse, les solitaires de Port-Royal par son austérité ; il a vécu dans les écoles, au barreau, dans les assemblées, depuis l’adolescence jusqu’au seuil de l’extrême vieillesse, sans que le fond de ses idées et de ses attachemens ait varié ; il est mort sans avoir jamais connu les amertumes de l’ambition déçue, en léguant aux jeunes gens l’exemple d’un travail sans trêve, aux hommes mûrs la leçon d’une carrière reprise à l’heure où d’autres croient avoir mérité le repos, aux plus âgés le