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précieux du devoir accompli et d’une heureuse influence exercée. Les vacances si impatiemment attendues depuis deux ans se trouvèrent avancées d’un mois. Comment sut-il les remplir ? Quelles furent ses lectures ? Si nous nous en rapportons aux projets de toutes sortes formes pendant les mois d’attente, ses loisirs durent être aussi laborieux que son séjour à Paris. Il avait emporté des livres, médité des recherches, formé suivant son habitude mille projets. Un point le troublait : en trois mois de repos, n’allait-il pas perdre l’habitude d’improviser ? Aussitôt, il conçut la pensée de faire un cours d’histoire ; il lirait et préparerait ses leçons le matin, puis le soir son père et les siens lui serviraient d’auditeurs et, sous cette forme à coup sûr originale, il plierait sa parole à un nouvel et utile exercice.


V.

Lorsqu’il revint à Paris, vers la fin de 1819, pour y passer une dernière année et faire, comme il l’avait souhaité, son doctorat en un art, il trouva les esprits de plus en plus excités. De nouvelles élections menaçantes pour le parti royaliste avaient rempli de joie les libéraux et jeté en même temps entre les partis des fermens de discorde. Aux espérances de l’année précédente avaient succédé de graves inquiétudes. Le ministère modéré était ébranlé, puis bientôt remanié et la loi des élections se trouvait menacée. Sur les bancs de l’École de droit courait une pétition que le gouvernement fit saisir. Cette maladresse irrita les esprits. « La conduite du ministère, écrit-il à son père, est d’une étourderie despotique : nous avons le droit de signer la pétition pour que la loi des élections ne soit pas attaquée et que la révolution ne recommence pas ; mais je ne la signerai pas parce que je vois bien qu’elle est inspirée par l’esprit de parti. » Ainsi toute son ardeur, l’expression la plus vive de ses convictions ne l’entraînait jamais au-delà de la mesure que la rectitude de son jugement lui imposait. Et cependant l’émotion était profonde. « Il y a presque tous les jours des réunions chez M. de Lafayette. On y nomme un président, on y discute les plans, les projets. Tout le côté gauche est convenu de garder la modération. Tous les discours qui seront prononcés sont soumis à une commission de cinq membres. Si l’orateur refuse les corrections, un membre de la gauche lui répondra et le désavouera. »

C’est avec envie que le jeune licencié parle de ces délibérations, où les députés seuls étaient admis ; lui qui a toujours fui le monde, qui lutte contre son père pour lui démontrer l’inutilité de se rendre aux