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tout petit Français serait tenu de posséder dès son bas âge des notions usuelles de droit et d’économie politique, les élémens de la littérature française, les élémens de la musique, du dessin et du modelage, les élémens des sciences] naturelles, physiques et mathématiques, leur application à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels. Il y a certainement du bon dans tout cela; mais, comme disait le fabuliste :

... Rien de trop est un point
Dont on parle sans cesse et qu’on n’observe point.


Le tort de nos législateurs est de considérer la tête de l’enfant comme une boîte où il s’agit de fourrer, d’entasser tout ce qu’on peut. Reste-t-il une place vide? Pressez, bourrez, serrez pour en faire entrer davantage, et Dieu vous garde de refermer le couvercle avant que la boîte soit pleine comme un œuf! L’abbé Trublet « compilait, compilait, compilait. » La pédagogie que goûtent et que patronnent nos hommes d’état a pour devise : « Empilez, empilez encore, empilez toujours. » Nous pensons, quant à nous, qu’on ne sait véritablement que ce qu’on apprend toute sa vie, et nous croyons que nos petits paysans seraient fort heureux si, en leur montrant à lire, on parvenait à leur inspirer pour le reste de leurs jours le goût des saines et utiles lectures, si on les accoutumait à raisonner juste, si on aiguisait leur esprit, si on éveillait leurs curiosités et qu’on leur donnât l’envie d’employer désormais leurs loisirs à les satisfaire. Plaise au ciel qu’ils n’emportent pas de nos écoles à haute pression un pêle-mêle de connaissances superficielles ou indigestes, des idées confuses de mille choses, une mémoire surchargée, impatiente de secouer son fardeau, le dégoût ou le mépris de la condition où ils sont nés, l’outrecuidance de Gros-Jean qui en remontre à son curé, des prétentions ridicules, des ambitions chimériques ! S’imaginer qu’on sait ce qu’on ne sait pas est la plus fatale, la plus incurable des sottises.

Danton disait : « Il est temps de rétablir ce grand principe que les enfans appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parens.» On aurait pu lui répondre : « Avant d’aller chercher vos lois à Sparte, tâchez d’en avoir les mœurs. » C’est un principe de nos sociétés modernes que l’état doit ménager beaucoup la liberté des individus et ne lui imposer que les sacrifices nécessaires. Vous m’obligez à donner quelque instruction à mes enfans, et je vous en remercie. Je ne traiterai pas votre loi de tyrannique pourvu que vous me laissiez libre de les faire instruire où il me plaît et comme il me plaît. Ce n’est pas vous qui vous chargez de leur procurer un gagne-pain; à moi seul incombent le soin et le souci de leur avenir, dont je un sens responsable, et tout devoir suppose un droit. Il pourrait se faire que, dans les environs du village que j’habite, il n’y eût aucune école privée