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m’offrant des garanties suffisantes, et il pourrait se faire aussi que votre instituteur public ne fût pas de mon goût. Aussi entends-je être libre d’élever moi-même mon fils et ma fille, et vous usurperiez sur mes droits si vous prétendiez m’imposer un enseignement dont je désapprouve les tendances ou la méthode, un instituteur qui n’a ni mes sympathies ni ma confiance.

Nos législateurs ne font point la guerre aux principes; leur coutume est de chercher un biais et d’introduire dans leurs lois telle ou telle disposition qui rend absolument illusoire l’usage des libertés qu’ils concèdent. Ils oublient que donner et retenir ne vaut; ce qu’ils accordent d’une main, ils le reprennent de l’autre. C’est un véritable tour d’escamotage, et les jésuites doivent être contens : ceux qui font profession de les exécrer les imitent. La nouvelle loi sur l’enseignement obligatoire déclare solennellement que « l’instruction primaire peut être donnée soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles par le père de famille lui-même ou par toute autre personne qu’il aura choisie. » Le sénat demandait que les enfans qui seraient élevés dans leur famille ne fussent astreints à subir devant un jury d’état qu’un seul examen à l’âge de dix ans révolus. La chambre a jugé que c’était trop peu; elle les a condamnés à subir un examen annuel à partir de la deuxième année d’instruction obligatoire. Elle a décidé aussi que « cet examen portera sur les matières de l’enseignement correspondant à leur âge dans les écoles publiques dans des formes et suivant des programmes qui seront déterminés par arrêtés ministériels rendus en conseil supérieur, que le jury sera composé de l’inspecteur primaire ou de son délégué, d’un délégué cantonal, d’une personne munie d’un diplôme universitaire ou d’un brevet de capacité, et que les juges seront choisis par l’inspecteur d’académie. »

Il en résulte que le père de famille, fût-il le plus habile des instituteurs, fût-il pénétré, imbu de toute la sagesse des Rabelais, des Montaigne, des Pestalozzi, des Basedow, des Jacotot, doit renoncer à toutes ses idées propres pour adopter les programmes, les méthodes ou les routines de l’école publique. Il avait fait ses réflexions sur la marche naturelle d’une bonne éducation, il a beaucoup de goût pour les leçons de choses, il estime qu’avec un peu d’adresse on y peut tout ramener. Il a étudié Rousseau, et le père de la pédagogie moderne lui a révélé les avantages de la méthode inductive et socratique. Il tient de lui que la première raison de l’homme est une raison sensible, que nos premiers maîtres de philosophie sont nos pieds, nos mains et nos yeux, que substituer des manuels à tout cela, ce n’est pas nous apprendre à raisonner, mais à nous servir de la raison des autres; que l’essentiel n’est pas de donner la science, mais l’instrument propre à l’acquérir ; qu’un esprit n’est pas une boîte qu’il s’agit d’emplir jusqu’à ce qu’elle saute, que c’est une force qu’il importe de développer jusqu’à ce qu’elle