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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/71

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plus les traditions antiques, qui font le mieux appliquer la loi, et qui par conséquent traitent le plus mal les chrétiens.

M. Renan a tracé de ces divers princes des portraits finement dessinés. Les deux derniers ont entre eux cette ressemblance d’avoir été de vrais souverains constitutionnels, des bourgeois sur le trône. M. Renan trouve même qu’ils ont trop aimé la simplicité, trop dédaigné la représentation et le faste. « Les choses humaines sont si frivoles qu’il y faut faire une part au brillant, à l’éclat. Un monde ne tient pas sans cela. Louis XIV le savait : on a vécu, on vit encore de son soleil en cuivre doré. » Rien ne ressemble moins à Louis XIV que ce bon Antonin ; et Marc Aurèle, qui lui succéda, fit son étude d’imiter autant qu’il le pouvait son père adoptif. Le dernier volume de M. Renan est consacré à Marc Aurèle. On peut dire qu’il l’occupe tout entier et que le reste est fort obscurci par cette grande figure. Pour la peindre, l’auteur semble avoir renoncé à ses procédés familiers : tout est ici en pleine et vigoureuse lumière ; peu d’ombres, pas de retouches ; des éloges sans restriction, une admiration sans réserve. C’est à peine s’il ose reprocher au prince philosophe d’avoir été un peu trop austère. « Ce qui lui manqua, ce fut, à sa naissance, le baiser d’une fée, une chose très philosophique à sa manière, je veux dire l’art de céder à la nature, la gaîté, qui apprend que l’Abstine et sustine n’est pas tout et que la vie doit aussi pouvoir se résumer en sourire et jouir. » C’est, comme on voit, un reproche assez doux, et Marc Aurèle l’aurait accepté volontiers. Peut-être pourrait-on en indiquer d’autres. Quelque attrait qu’on éprouve vers cette nature excellente, il est aisé de voir qu’il manquait d’initiative. Il n’était pas comme Trajan, qui aimait le pouvoir et qui nous apparaît, dans sa correspondance administrative, si prêt, si décidé sur toutes les questions. Marc Aurèle, au contraire, avait peu de goût pour son métier de souverain ; ce fut tout au plus un empereur résigné. Il ressemble plutôt au soldat qui meurt au poste où on l’a mis qu’au chef qui choisit sa place. Il aimait tant ses maîtres qu’il resta toujours devant eux dans une attitude soumise ; c’était en tout un parfait disciple. Par malheur, il y avait, parmi ceux qui élevèrent sa jeunesse, des gens très médiocres ; il écouta les médiocres comme les autres. Que d’impatience n’éprouve-t-on pas à lire ses lettres à Fronton, où il s’escrime de bel esprit avec le vieux rhéteur, admire, pour lui plaire, l’éloge de la fumée ou de la poussière, et compose avec conscience des hypotyposes ou des prosopopées ! En philosophie aussi, il fut un bon élève. J’ai quelque peine à comprendre que M. Renan nous dise qu’il n’y a pas chez lui « une ombre de système, » et « qu’il n’est d’aucune école. » J’ai peu de titres à discuter les questions de ce genre,