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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/72

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mais il me semble qu’il ne fit que développer la philosophie stoïcienne de son temps et qu’il la développa d’une manière assez fidèle. Je ne vois pas bien en quoi ses idées diffèrent de celles d’Épictète. Il leur a donné sans doute mm accent nouveau et personnel ; et puis c’est un empereur qui parle, ce qui augmente singulièrement l’importance des choses qu’il dit. Un esclave a peu de mérite à renoncer aux biens du monde qu’il ne possède pas, et la sagesse la plus ordinaire lui conseille de se préparer d’avanee aux misères auxquelles il est exposé. Le renoncement et l’ascétisme ont plus de prix quand on est sur un trône. C’est donc la situation de l’auteur qui fait le charme particulier des Pensées ; mais les principes qu’il expose, quoiqu’il se les soit rendus propres, ne lui appartiennent pas. Ce manque d’initiative et d’originalité me fait craindre que son scepticisme ne soit pas aussi personnel que le voudrait M. Renan. Il est sceptique à la façon des sages de sa secte, et l’on pourrait dire, je crois, de presque tous les stoïciens de cette époques, aussi bien que de lui, « qu’ils flottent entre le déisme pur, le polythéisme interprété dans un sens physique, et une sorte de panthéisme cosmique. » En toute chose, il a subi l’influence, il n’a pas dominé l’impulsion. Ce n’est pas le rabaisser après tout que de nier qu’il ait eu une philosophie originale, et il avait autre chose à ferre que d’inventer des systèmes.


IV

Nous avons traité jusqu’ici les sept volumes de M. Renan comme une œuvre purement scientifique, ne cherchant pas à savoir si les conclusions de l’auteur sont conformes à nos opinions, mais ce que ses recherches ajoutent à nos connaissances. C’est le seul moyen d’apprécier comme il convient les travaux de ce genre. On est d’accord que les études religieuses ne produisent tous leurs fruits que si nous les abordons dans les mêmes dispositions et les mêmes sentimens qu’on apporte aux autres, c’est-à-dire sans passion, sans préjugé, avec une entière indépendance d’esprit et la ferme résolution de ne pas plier les faits à nos croyances, mais de conformer nos croyances aux faits. L’idéal serait qu’on pût s’occuper de l’histoire des origines chrétiennes aussi froidement que de celle des rois de Rome. Nous en sommes encore fort éloignés, et je n’en suis pas surpris : en ce moment où les questions religieuses passionnent les esprits, un pareil détachement me paraît beaucoup plus à souhaiter qu’à attendre. Il est naturel que, dans l’ardeur de la lutte, des gens qui entendent discuter, ou même malmener des croyances auxquelles ils sont attachés de toute leur âme, ne soient pas toujours maîtres