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les yeux du gouvernement, à ce courant de manifestations, tantôt à propos d’un anniversaire inattendu, tantôt à propos d’armemens militaires ou de combinaisons diplomatiques.

Oui, en vérité, le moment a paru propice pour aller tirer de l’histoire un événement qui date de six siècles, pour manifester à l’occasion du souvenir des Vêpres siciliennes. Garibaldi lui-même, qui écrivait récemment des lettres où il jetait feu et flamme contre la France, a été convoqué, malgré son état de maladie ; il doit paraître en litière à la fête qui se célèbre aujourd’hui avec toutes les pompes à Palerme. En réalité, on ne voit pas bien comment ce massacre de 1282, qui a eu pour effet de détruire les Angevins au profit des Aragonais, c’est-à-dire de substituer à une domination étrangère une autre domination étrangère, peut être inscrit comme un événement heureux dans les fastes de l’indépendance nationale. De plus, c’est un peu vieux; mais n’importe! Ce qui, dans tous les cas, est moins vieux et d’un intérêt moins rétrospectif, tout en ayant la même signification, c’est une brochure écrite récemment par un colonel Italien qui a été député et qui peut le redevenir. L’officier italien trace ni plus ni moins le programme des prochaines campagnes. Il suppose, dans ses calculs un peu prompts, que la guerre a déjà éclaté entre l’Autriche et la Russie. Une fois dans cette voie, les hypothèses ne lui coûtent plus. Il suppose encore que la France s’est empressée de prendre parti pour la Russie. Dès lors l’Italie a son rôle tout indiqué, comme alliée naturelle et nécessaire de l’Autriche et de l’Allemagne. La suite est facile à pressentir, de sorte que tout est occasion et prétexte de manifestations contre la France.

Que des hommes de parti, aveuglés par leurs passions ou par des hallucinations politiques, célèbrent les Vêpres palermitaines, que des officiers, qui pourraient peut-être mieux employer leur temps, s’étudient à tracer le rôle de leur pays dans les prochaines campagnes, la France n’a point sans doute beaucoup à s’en émouvoir et à s’exagérer la portée de ces manifestations. Que les Italiens sensés et sérieux cependant veuillent bien y réfléchir : qu’espèrent-ils gagner à laisser se développer des instincts, des passions dont ils sont les premiers assurément à sentir le danger, que la nation elle-même, dans le fond, ne partage pas? Ils croient rester dans leur rôle de politiques, rassurer ou satisfaire l’opinion, en cherchant des alliances; ils en ont le droit s’ils y tiennent : à quoi cela leur a-t-il servi jusqu’ici ? Ils se sont adressés au grand allié, à M. de Bismarck en personne, et, pour cette fois, le chancelier allemand, qui a d’autres affaires à poursuivre à Rome comme à Berlin, n’a pas même pris la peine de déguiser son impatience. M. de Bismarck a traité assez lestement leurs griefs et leurs désirs. Ils ont jugé utile un voyage de leur souverain en Autriche; le roi Humbert est allé à Vienne, il y a trouvé l’hospitalité empressée