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pas montré plus de prévoyance. Pendant que se formait à l’horizon l’orage que nous voyons éclater sous nos yeux, ils gardaient toutes leurs colères pour un livre qui ne cherche pas à leur disputer les âmes, qui se défend d’entrer directement en lutte avec eux, qui, loin de souhaiter ou de vouloir hâter la ruine du christianisme, proclame qu’en se transformant il durera toujours et « qu’il reste le lit du grand fleuve religieux de l’humanité. » Il faut avouer qu’il y avait là un manque de justice et de perspicacité.

Mais s’il est vrai que M. Renan n’ait pas eu des intentions de propagande ; si, comme il l’affirme et comme tout le prouve, il était loin de sa pensée d’écrire un ouvrage de controverse, quel a donc été son dessein et qu’a-t-il vraiment voulu faire ? C’est une question qu’on lui a souvent posée, à ce qu’il nous dit, dans une de ses préfaces, et à laquelle il a plusieurs fois répondu. Il a voulu appliquer aux origines du christianisme la méthode de recherche, les procédés d’investigation dont on se sert pour connaître les autres événemens du passé ; il a fait une histoire, mais, remarquez-le bien, une histoire qui n’est pas à l’usage de tout le monde. Si elle s’adressait aux croyans comme aux incrédules, il aurait dû la faire précéder d’un traité de polémique où il aurait prouvé qu’il n’y a pas, qu’il ne peut pas y avoir de surnaturel, que les livres qui nous ont conservé le récit de la vie de Jésus et les doctrines des apôtres ont été écrits par des hommes, et que, par conséquent, ils sont soumis aux mêmes chances d’erreur que les autres. Il montre, en ne le faisant pas, qu’il n’écrit pas pour ceux qui avaient besoin qu’on le fît, c’est-à-dire pour les croyans. Il suppose donc que les gens qui le lisent sont déjà convaincus qu’il n’y a pas de miracles, et que tout se passe, dans les affaires humaines, par des moyens naturels. Ceux-là n’ayant pas la ressource d’expliquer le prodige de la propagation rapide du christianisme par l’intervention divine ont besoin qu’on leur apprenne de quelle manière et par quel ensemble de circonstances favorables une religion née dans un coin obscur de l’Asie, parmi de petites gens, chez un peuple méprisé, s’est répandue si vite dans le monde entier et a si bien