troupes du Sud, auxquelles était demeuré l’avantage, voulurent ramasser et ensevelir les morts, elles trouvèrent rangées devant le mur des compagnies presque entières; on eût pu faire l’appel, il n’eût presque pas manqué un soldat. Quinze mille cadavres reposent aujourd’hui dans le cimetière de Fredericksburg ; mais moi, tout en continuant notre route d’une allure rapide à travers ces taillis sauvages, je pense à ceux qui, pendant une désastreuse retraite, ont succombé peut-être à quelque mortelle blessure, mourant seuls, au pied d’un arbre, de soif ou d’épuisement et dont les ossemens oubliés blanchissent aujourd’hui sous la feuillée, sans honneurs, sans prières, mais peut-être pas sans larmes.
Notre second séjour à Washington n’a pas duré moins de quatre jours, et vu l’allure dont nous avons marché jusqu’à présent, nous sommes sur le point de trouver que c’est beaucoup. Il n’a pas été marqué par d’autres plaisirs que par une soirée à la légation de France dont Mme Outrey nous a fait les honneurs avec la double bonne grâce d’une Américaine et d’une Française, et par une réception de M. Blaine, le secrétaire du département d’état, dont le début a été marqué par un défilé tout démocratique d’invités en redingote, et la fin, au contraire, par une petite sauterie fort élégante, à laquelle avaient consenti à venir par le chemin de fer quelques jeunes filles de Baltimore, peut-être pour nous dédommager de leur dédain lors de notre passage dans leur ville natale. Aussi j’avoue que ce séjour m’aurait paru peut-être un peu long, si je n’avais profité de la circonstance pour tâcher de mieux comprendre les particularités du quart d’heure de la politique américaine. Tout en me pardonnant volontiers de n’avoir pas intitulé ces études : de la Démocratie américaine et de son avenir, peut-être mes lecteurs ne seront-ils pas fâchés après tout de trouver ici quelques renseignemens très courts sur l’état des partis dans cette grande république si exaltée par les uns, si décriée par les autres et dont chacun affirme le triomphe ou la décadence, suivant qu’il appartient dans notre pays à un parti ou à un autre.
Les États-Unis sont aujourd’hui, comme chacun sait, divisés entre républicains et démocrates. Les républicains sont au pouvoir, les démocrates dans l’opposition, et quelques méchans pourraient prétendre que c’est là surtout ce qui les sépare. Mais ce serait malice, et il y a entre les deux partis une réelle différence de tendances. Les républicains sont les centralisateurs, les partisans d’un pouvoir fédéral fort et faisant sentir son influence à travers toute l’étendue de l’Union. Les démocrates sont les partisans des droits des états et, sinon de leur complète autonomie, du moins de leur indépendance politique et législative poussée aussi loin qu’il est possible, sans rompre le lien fédéral. Avant la guerre et lorsque l’esclavage