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réellement soulevée, il y eût sur ce point spécial une Blaine doctrine, de même qu’il y a sur le principe général une Monroe doctrine. Je n’ai pas trouvé, en effet, un Américain qui ne partageât son opinion, pas un auquel il fût possible de faire entendre que si un traité de neutralité signé par les États-Unis et la république de Colombie, offrait assurément toute garantie contre une mainmise de la Colombie sur le canal, la garantie n’était peut-être pas tout à fait aussi forte contre une mainmise des États-Unis. Ces mêmes questions de politique extérieure ont procuré depuis, je le sais, quelques désagrémens à M. Blaine. La publication de certaines instructions données par lui aux représentans des États-Unis à Lima et à Valparaiso, celle d’autres dépêches encore ont montré qu’il avait peut-être compromis un peu hâtivement, sous sa propre responsabilité, la diplomatie américaine dans des questions délicates, et il a eu l’ennui d’être désavoué par son propre parti. Mais peut-être aussi n’a-t-il eu d’autre tort que de marcher un peu trop vite et trop résolument dans une voie où, avec plus de timidité et de lenteur, ses successeurs finiront par le suivre, et alors il recouvrera le bénéfice de son initiative. Pour le moment, sa situation n’en est pas moins devenue assez maussade. Comme il a dû donner sa démission de sénateur du Maine pour devenir ministre de Garfield, dont il avait été cependant le concurrent à la présidence, il a été remplacé au sénat, et comme depuis il a également cessé d’être ministre, il s’ensuit qu’aujourd’hui il n’est plus rien du tout. Mais je ne suis pas inquiet pour lui. Il y a toujours place au soleil de son pays pour quelqu’un de sa trempe, et si les partis ne lui mesuraient pas la place assez large, il serait homme au besoin à se la tailler tout seul.

C’est pendant notre second séjour à Washington que se sont déroulés les premiers débats du procès de Guiteau. Si grande était contre ce malheureux, ou plutôt ce misérable, l’indignation publique, qu’on craignait de le voir écharpé par la populace pendant son trajet de la prison à la cour et qu’on avait dû prendre toute sorte de précautions pour dissimuler l’heure et le mode de son transfèrement. Quelques jours auparavant, il avait essuyé dans sa prison le feu d’un de ses gardiens, et le troisième ou quatrième jour de son procès, un cavalier, dont le nom est demeuré inconnu, dépassa sa voiture au galop et lui tira un coup de pistolet. J’ai été frappé du contraste entre la surexcitation de l’opinion publique dont ces craintes et ces tentatives étaient l’indice, et la longanimité de la législation criminelle américaine, qui a toléré un long procès de quatre mois durant lequel on a vu Guiteau, insultant juges, témoins, et jusqu’à ses propres défenseurs, posant devant la presse et devant le public, enfin jouant tout à son aise, pendant d’interminables débats la