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La spéculation financière ne tarda pas à s’en emparer. Il y avait dans les émissions d’actions et d’obligations une ample moisson de primes à recueillir au détriment des souscripteurs trop confians, qui, trompés par les prospectus et par de fausses analogies, et rassurés par le paiement régulier des intérêts pendant la période de construction, croyaient recevoir des titres semblables à ceux des anciennes compagnies de chemins de fer, d’un capital solide avec revenu garanti. Avant que l’exploitation des premières lignes concédées en vertu de la loi de 1865 eût révélé tous les mécomptes auxquels devaient donner lieu les chemins de fer d’intérêt local, soit par l’excédent des dépenses de construction sur les prévisions, soit par l’insuffisance du trafic et des recettes, une aventure économique et financière d’un autre genre vint ajouter aux embarras de la situation et aggraver singulièrement, par la multiplication précipitée des lignes secondaires, l’atteinte déjà portée à l’organisation de l’ensemble du réseau. Un spéculateur belge, M. Philippart, conçut la pensée de grouper les concessions départementales et de souder l’une à l’autre les lignes d’intérêt local de manière à en former plusieurs lignes continues pouvant faire concurrence à celles du réseau concédé par l’état. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer à quel point cette combinaison, trop facilement encouragée par certains conseils-généraux, était décevante et périlleuse[1]. Elle devait échouer, non-seulement parce que les lignes ainsi projetées ne possédaient point d’élémens de trafic suffisans et devaient être, dans tous les cas, incapables de lutter contre les anciennes compagnies, mais encore parce qu’une portion considérable des fonds destinés à leur construction fut détournée vers des opérations de banque et des spéculations de bourse.

Ce fut donc en 1876 que cette double crise imposa au gouvernement le devoir d’aviser : car, après tout, les fautes commises dans l’industrie des chemins de fer atteignent directement l’intérêt public, et cet intérêt commande au gouvernement d’intervenir pour que le développement et la régularité des transports ne souffrent pas des erreurs involontaires ni des excès condamnables auxquels peuvent se laisser entraîner les concessionnaires et les exploitans. Le mode le plus simple et le plus pratique à cette date était, sans contredit, celui qui fut adopté d’abord par le ministre des travaux publics ; il consistait, ainsi que nous l’avons rappelé plus haut, à faciliter l’achat des lignes secondaires par les grandes compagnies : ici, par la compagnie d’Orléans ; là, par la compagnie du Nord, etc., et à reprendre, au profit de tous les intéressés, le système de fusion qui avait été appliqué avec tant de succès avant 1870. Par ce procédé, l’intérêt

  1. Voyez dans la Revue du 15 juillet 1875, la Question des chemins de fer en 1875.