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force devant le sénat. Il s’agissait, en effet, de racheter immédiatement 2,615 kilomètres qui avaient été concédés à dix compagnies différentes et d’affecter à ce rachat une somme de 500 millions, sur lesquels 333 millions devaient être remis aux compagnies rachetées comme remboursement des dépenses faites ou à faire et le surplus était destiné à la construction ou à l’achèvement par l’état de celles des lignes dont ces compagnies n’avaient pu terminer ni même commencer les travaux. C’était là, sans contredit, un sacrifice très onéreux pour le trésor et un précédent législatif qui pouvait mener loin. Pourquoi transférer à l’état la propriété de toutes ces lignes, parmi lesquelles se trouvaient des tronçons qui ne devaient jamais payer leurs frais et dont la concession avait été trop légèrement accordée aux instances de spéculateurs aventureux ? Pourquoi appliquer à ce rachat les dispositions de la loi de 1874, qui ne prévoit que les dépossessions opérées dans l’intérêt public et qui fixe alors pour base équitable du prix le remboursement des frais d’établissement ? Traitant avec des compagnies dont quelques-unes n’étaient déjà plus représentées que par les syndics de leur faillite, le gouvernement, sans même invoquer les clauses rigoureuses des cahiers des charges, c’est-à-dire la mise sous séquestre et la déchéance, aurait pu tout au moins stipuler des conditions de prix moins lourdes pour le trésor, et ne point payer si fort au-dessus de ce qu’elles valaient des lignes qu’il n’aurait point jugé utile de construire lui-même et dont l’exploitation allait, en outre, lui infliger annuellement une perte considérable. Non-seulement le prix de rachat était exagéré, mais encore il était certain que les sommes versées aux compagnies ou à leurs syndics devaient profiter pour la plus grande part aux spéculateurs avisés qui s’étaient procuré à vil prix les titres de ces compagnies expirantes ou mortes, de telle façon que, sans le vouloir sans doute, la décision législative, au lieu d’indemniser les premiers souscripteurs des obligations, lesquels, à raison de leur bonne foi, pouvaient mériter quelque intérêt, venait rémunérer avec l’argent du trésor de simples manœuvres de bourse.

Enfin, si l’on entrait dans cette voie, si l’état se montrait ainsi disposé à prendre à son compte les chemins de fer en déficit ou en faillite, ne craignait-on pas de voir défiler successivement à la caisse du budget bien d’autres compagnies qui invoqueraient également la rançon de leur imprudence et le droit au rachat ? — Toutes ces objections furent soumises et à la chambre des députés et au sénat ; mais elles se heurtèrent contre le parti-pris d’une majorité parlementaire, engagée par le vote de l’amendement de M. Allain-Targé, voulant en finir à tout prix avec une question qui ne comportait plus de retards et craignant peut-être que le rejet de la loi ne la mît dans l’obligation de revenir au système qu’elle avait précédemment