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Bossuet, c’est lire Bossuet; mais lire Fléchier, c’est lire ce qu’applaudissait la société précieuse dont il fut l’un des ornemens; tout de même que lire Malherbe, c’est lire Malherbe; mais lire Voiture, c’est comme qui dirait faire visite à l’hôtel de Rambouillet.

Il paraîtra sans doute à quelques-uns que c’est un peu rabaisser Fléchier. Ses agréables Mémoires sur les Grands jours d’Auvergne et l’Oraison funèbre de Turenne ont mis, en effet, assez haut dans l’histoire de notre littérature la réputation de l’évêque de Nîmes. L’abbé Fabre lui-même, à qui pourtant on ne saurait reprocher de manquer de mesure, parle encore quelque part de Fléchier comme du rival de Bourdaloue et l’émule de Bossuet. Il est certain qu’au XVIIe siècle, l’Oraison funèbre de Turenne a balancé l’Oraison funèbre de Condé, comme il est certain que, cent ans plus tard, ce lourd Thomas ne craignait pas de mettre Fléchier en parallèle avec Bossuet. Mais, et sans compter qu’aujourd’hui même cette Oraison funèbre, où quiconque parle de Fléchier ne peut pas s’empêcher de revenir, puisque enfin c’est de l’œuvre entière presque le seul morceau qui demeure, ne vaut certainement pas les éloges que l’on continue d’en faire; qu’est-ce après tout, dans le siècle de Bossuet, de Bourdaloue, de Massillon, qu’un orateur sacré qui sans doute a possédé toutes les parties extérieures de l’honnête homme et quelques-unes même de l’écrivain, mais rien d’intérieur, et dont le rare talent s’est étalé tout en surface? Fléchier, sa vie durant et presque jusqu’à son dernier jour, est resté l’homme de son éducation première, l’élève de Balzac et de Voiture, l’orateur selon le cœur des précieuses. Est-ce d’ailleurs une raison de le négliger? mais, au contraire, et justement c’est en quoi Fléchier vaut et vaudra toujours la peine, comme Balzac et comme Voiture, d’être étudié de près.

Il règne, en effet, sur le XVIIe siècle plus d’idées fausses qu’on ne pense, et pour cette raison bien simple que ce que nous croyons le mieux connaître, étant ce que nous étudions le moins, est aussi ce que très souvent nous connaissons le plus mal. Mais, dès qu’au lieu de répéter les leçons apprises, et pour se faire une opinion personnelle, on essaie d’y regarder de plus près, on est tout étonné de s’apercevoir que ce sont les hommes qui passent pour avoir représenté dans ce grand siècle toute l’inflexible autorité de la règle qui sont les irréguliers, mais les prétendus irréguliers, au contraire, et, comme on les a nommés, les victimes de Boileau, qui sont les vrais timides, les vrais serviteurs de l’opinion, les vrais esclaves de la mode. Ce n’est pas du tout ce fiacre de Scarron qui est en lutte avec l’esprit de son temps, c’est Molière; et ce n’est pas du tout Racine qui est le favori de la mode, c’est le tendre Quinault. Mais entre Charles Perrault, le spirituel auteur des Contes de fées ou du Parallèle des anciens et des modernes, et l’exact auteur des Satires ou de l’Art poétique, sachons-le bien, le vrai l’auteur de nouveautés, c’est Boileau.