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lui-même inégal ou compromis par des fautes dégoût, Holbein a touché à la perfection dans un grand nombre d’œuvres irréprochables. Chez lui, les plus rares qualités du peintre se montrent avec un tel éclat et dans une si intime union qu’il est aussi impossible de découvrir entre elles une trace d’infériorité que de les supposer l’une sans l’autre. Dans le vaste programme qu’il s’était proposé, Dürer s’efforçait trop souvent de concilier des préoccupations contradictoires. Tour à tour dans sa vie, et quelquefois simultanément dans une même composition, l’Allemagne et l’Italie, la renaissance et le gothique, l’imitation stricte de la nature et les conceptions les plus idéales se disputaient ses préférences. Holbein ne s’embarrassait pas de visées si complexes ; il savait ce qu’il voulait, sa simplicité faisait sa force, et il suivait sa droite voie. Tout d’une pièce, sans défaillance, mettant dans ses œuvres cette puissante unité qui permet de les distinguer entre toutes, il est à ce point égal à lui-même qu’en présence des trois portraits du musée de Berlin, il serait difficile de motiver une préférence. Tous les trois, du reste, appartiennent à l’époque de sa pleine maturité. Nous nous arrêterons au plus important, un vrai chef-d’œuvre, qui, après avoir fait partie de la galerie d’Orléans, est entré au musée avec la collection Solly. Aux qualités d’exécution que nous sommes habitués à trouver chez le peintre d’Augsbourg se joint ici la beauté de la composition et de l’harmonie générale du tableau. Avec ses longs cheveux blonds, son teint pâle, son visage au contour un peu amaigri et ses petits yeux au regard profond, ce personnage, jeune encore, offre un type d’une distinction accomplie. Vêtu d’un riche costume, — barrette noire, manteau noir brodé de fourrures, chemisette blanche et pourpoint à manches bouffantes d’un rouge écarlate, — il tient à la main une lettre qu’il s’apprête à décacheter et dont l’adresse, écrite dans le dialecte du midi de l’Allemagne, porte son nom : George Gyze. Cet élégant seigneur est un marchand de Londres, probablement un de ces négocians allemands avec lesquels Holbein était alors en relations et qui vivaient groupés dans le quartier qui leur servait de centre commercial, le Stalhoff. Sur les parois du cabinet de travail sont disposés divers objets à l’usage de ce jeune homme : des balances à peser l’or, des clés, des bagues servant de sceaux et des poinçons. Devant lui, une table recouverte d’un tapis d’Orient supporte également sa montre, son cachet, un encrier avec une plume et, à côté, un verre de Venise où des œillets et d’autres mignonnes fleurettes baignent dans une eau pure. Holbein a répété plusieurs fois le nom du modèle, auquel il a ajouté l’indication de son âge, trente-quatre ans, et la date de cette œuvre, 1532. Comme pour nous renseigner également sur la nature morale de ce jeune homme, au-dessous du nom de Gyze, il a écrit cette