Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissant les besoins féminins, ayant approfondi les aptitudes féminines que l’homme n’a jamais pénétrées complètement, ferait la confession de son sexe, sans restriction, de façon à fournir les élémens indispensables pour formuler la déclaration des droits et des devoirs de la femme. C’était un rêve : devant l’homme la femme ne se dévoilera jamais. Ce sont deux êtres, non pas seulement différens, mais dissemblables : le mode de génération des idées n’est pas le même chez l’un et chez l’autre ; la fin du monde arrivera avant qu’ils se soient compris. Halle a écrit : « La femme est la partie nerveuse de l’humanité, l’homme, est la partie musculaire. » Ce sont là-des mots et rien de plus. L’homme se cache de la femme, la femme se cache de l’homme et ils vont ainsi dans la vie, croyant s’entendre, parce que tous deux sont doués de parole. L’un est-il supérieur à l’autre, je n’en sais rien ; sont-ils égaux, j’en doute ; en tous cas, ils sont divergens. Que produirait l’égalité absolue entre l’homme et la femme ? Le bonheur de l’humanité, disaient les saint-simoniens. — Une cacophonie., répondent les physiologistes. Dans une contrée où la chaîne des monts Himalaya dresse sa plus haute cime, entre le Thibet, le Bengale et le pays des Kirats, existe la région du Boutan, qui a pour capitale un château fort à sept étages nommé Tassadudon. Le bouddhisme en est la religion exclusive et l’on y adore Gautama, qui fut le Çakya-Mouni. La, les femmes sont les égales de l’homme et, par conséquent, le dominent. Quelle loi conjugale ont-elles fait prévaloir ? — O lectrices, bouchez vos oreilles : la loi de la polyandrie.

La recherche de la femme libre, de La Mère, n’était point une innovation d’Enfantin : bien avant lui, Saint-Simon, alors qu’Augustin Thierry était son secrétaire, avait tenté de trouver cette huitième merveille du monde et croyait bien l’avoir découverte dans Mme de Staël. Il lui écrivit pour lui proposer de l’aider à donner à l’humanité un nouveau messie qui promulguerait la loi vivante d’où toute félicité découlerait sur terre. Mme de Staël sourit et laissa l’invitation sans réponse. Lorsque George Sand publia ses premiers romans qui ressemblaient à un cri de révolte contre la toute-puissance de la barbe, il y eut un frémissement dans le monde du saint-simonisme et on crut que la Déborah attendue venait d’être suscitée. Adolphe Guéroult, qui, depuis, a été consul de France à Mazatlan, rédacteur en chef de l’Opinion nationale, et député de Paris, fut chargé de faire une tentative pour rattacher à la « doctrine » cette Lélia qui semblait prête à réciter le Confiteor et le Credo féminins. Guéroult trouva une femme mal appareillée, tirant parti de son talent pour vivre, mais ne se souriant pas de devenir la prêtresse d’une religion nouvelle. Ce fut une déception, et plus tard, cette déception fut très vive, lorsque George Sand publia ses Mémoires. Enfantin les