l’ingéniosité de ses commentaires. On convoqua le curé d’une paroisse voisine pour entendre ce bambin qui parlait comme un père de l’église. Le curé et l’aumônier, émerveillés de l’orthodoxie et de l’ampleur de cette science, si rare chez un enfant de douze ans, interrogèrent celui-ci et découvrirent avec stupeur qu’il devait son éducation religieuse à son père, que son père était Louis Jourdan, rédacteur du Siècle, l’ennemi des prêtres, réservé à la damnation éternelle ; ils apprirent, en outre, que le jeune catéchumène si ferré sur les dogmes et si expert dans l’explication de ceux n’avait même pas été baptisé. Jourdan fut très fier du succès de son fils.
A côté d’Enfantin, de Lambert, de Jourdan, j’aperçois à la clarté de mes souvenirs un homme souriant, coiffé d’un tarbouch qui cache ses cheveux gris, vêtu d’une large redingote, moins âgé qu’il ne le paraît et parlant d’une voix si douce qu’elle semble voilée. C’est le docteur Perron, qu’une modestie excessive a empêché de prendre le rang qui lui était dû dans le monde savant. Il s’effaçait volontiers et s’effaça si bien qu’on cessa de l’apercevoir. Il était médecin et avait été chercher fortune en Égypte. Y vint-il avec la famille saint-simonienne ? y fut-il appelé par Clot-Bey ? Je ne sais. Il était habile en son art, prudent et instruit. Méhémet-Ali créa une école de médecine à Abou-Zahel et Perron en fut nommé le directeur. C’était un travailleur intrépide et qui naturellement dormait peu. Il apprit l’arabe et le sut bientôt à en remontrer aux cheicks de l’université théologique d’El-Azar ; à la connaissance de l’arabe il joignit celle du persan, et il fut maître des deux langues littéraires de l’islamisme. Dès lors il se consacra à l’étude de la littérature orientale ; depuis le Koran jusqu’aux poèmes, depuis les ouvrages de médecine jusqu’aux livres des conteurs, depuis les historiens jusqu’aux kabbalistes, il approfondit tout et accumula les matériaux de travaux futurs, de travaux possibles, avec la ténacité d’un bénédictin. Les voyages l’attiraient ; lui aussi, il eût bien voulu aller voir si le continent africain n’avait pas quelque mystère à dévoiler ; mais il était de santé débile et, comme la plupart des travailleurs de la plume, enclin à ne point quitter le logis. Un marchand nommé Mohammed-el-Tounsy, c’est-à-dire le Tunisien, avait été trafiquer dans le Darfour et le Ouadaï, qui sont deux grands réservoirs d’esclaves ; si le Tunisien en faisait commerce, il ne le dit pas, et nous devons croire que les dents d’éléphans, la poudre d’or et les gommes suffisaient à son négoce. Il avait la peau d’un mulâtre et son voyage à travers le désert ne lui avait pas rafraîchi le teint ; cependant, dès qu’il fut entré dans la région noire, il devint l’objet de l’admiration de tous. Les hommes du Darfour et du Ouadaï disaient : « Comme il est blanc ! comme il est rose ! Certainement il n’est pas venu à terme ; il doit être bon à manger ;