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Il y avait une œuvre plus importante à laquelle il rêvait de mettre la main. Président du conseil-général de la Charente-Inférieure depuis plusieurs années, il avait été vivement frappé de l’heureuse influence et de la vie propre de ces assemblées départementales qui accomplissaient sans bruit et avec une réelle efficacité leur mission. Il croyait le moment venu d’étendre leurs attributions. Sous forme de circulaire aux préfets, une longue suite de questions fut adressée aux conseils-généraux qui étaient invités à délibérer sur chacune des réformes parmi lesquelles était comprise l’organisation si longtemps souhaitée des conseils cantonaux.

Au milieu de ces travaux si féconds, la prorogation s’écoula vite, et, avec le retour de l’assemblée, les attaques furibondes de la montagne se renouvelèrent. M. Dufaure et ses collègues étaient toujours sur la brèche. Le 29 octobre, la journée avait été plus rude que de coutume. Les représentans de cinq départemens voisins de l’agglomération lyonnaise s’étaient entendus pour interpeller, le même jour, sur l’état de siège et les violations, suivant eux quotidiennes, de la loi et de la sécurité privée qui en étaient la suite. Aux critiques acerbes, aux assertions hasardées, aux violences de langage, M. Dufaure avait répondu avec cette précision dans les faits, cette logique irréfutable et cette possession de lui-même qui avaient le don d’exaspérer la gauche. Il était monté à plusieurs reprises à la tribune et chaque fois il avait été soutenu dans ses vertes ripostes par les acclamations de la majorité. Il pouvait croire le ministère solidement établi. Le conseil qui se tint peu d’heures après à l’Elysée devait lui ouvrir les yeux. Profitant de l’absence de M. Odilon Barrot malade, le président prit la parole au milieu des affaires courantes, fit allusion aux désaccords qui le séparaient des ministres, adressa de vifs reproches au cabinet, qu’il trouvait sans force et sans énergie. M. Dufaure, au nom de ses collègues, refusa de donner sa démission. Le lendemain, quelques amis personnels du président, ceux qui devaient se faire les serviteurs de son ambition, remplaçaient les hommes d’état dont l’indépendance avait déplu.


V

M. Dufaure rentrait au milieu de ses collègues de l’assemblée sans avoir à se reprocher pendant les cinq mois de son passage aux affaires, soit une seule concession au pouvoir personnel, soit un acte contraire à la saine politique fondée sur l’ordre et la liberté. Contre lui les clameurs de la gauche se confondaient avec les vaines protestations des accusés de l’attentat du 13 juin ; entre l’insurrection et ceux qui se proclamaient les défenseurs de la république s’était nouée alors une criminelle alliance qu’il faut avoir sans cesse