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n’a survécu, et quant au Caïd, il nous aura valu l’opérette, titre qui suffit à sa gloire. Cette continuelle antithèse du sentimentalisme et du bouffon, ces cavatines surchargées d’ornemens ridicules, le pathos creux de ce finale, tout cela constituait dans le principe un très amusant persiflage dont il aurait fallu ne point s’évertuer ensuite à faire un genre, car les plus courtes parodies, — en musique surtout, — sont les meilleures, et l’imitation du mauvais goût trop prolongée risque souvent de dépasser comme ennui le mauvais goût en personne. Au naturalisme du Caïd je préfère de beaucoup l’idéalisme du Songe d’une nuit d’été, et je m’y arrête comme à la plus brillante étape avant Mignon. Je laisse de côté Raymond et Psyché, deux partitions qui mériteraient d’être étudiées, l’une pour l’habile mise en scène musicale des situations dramatiques, l’autre pour son orchestre d’un art si délicat, l’abondance des motifs et l’aspiration mythologique devançant M. Gounod et lui traçant la voie de main de maître ; mais on ne peut parler de tout, et je vais où m’appelle l’intérêt de ma discussion.

Le Songe d’une nuit d’été se passe en des régions féeriques, et pourtant rien de Mendelssohn, j’ajouterais rien de Shakspeare, car le héros de cette fantaisie n’a du poète anglais que le nom. Otons leur illusion à ceux qui seraient tentés de croire à quelque analogie et qu’ils apprennent que cette pièce tant de fois applaudie ne se réclame aucunement du répertoire dont le Songe d’une nuit d’hiver fait partie. Cependant, voyez la rencontre ! il semble que le poème et sa musique aient traversé la forêt enchantée. Le second acte a des rosées de clair de lune. La reine Elisabeth, — nommons-la plutôt la reine Mab, — a fait transporter Shakspeare dans le parc de Richmond, et le poète, que nous venons de laisser ivre-mort à la taverne de la Sirène, se réveille au milieu des visions et des harmonies d’une nuit d’été fantastique. M. Ambroise Thomas excelle à rendre ces impressions éoliennes. Où les autres ne mettent que des harpes et des violons en sourdine, il introduit un sentiment très particulier de la situation et vous en rend l’esprit avec la lettre. Ainsi, à partir de ce moment, le romantisme ne vous quitte plus ; l’intrigue a beau se mouvoir dans le réel, la musique poursuit son rêve jusqu’à la dernière phrase des couplets de la reine à Shakspeare : « C’était un rêve ! » Note exquise, tendre et voilée comme un soupir, narquoise comme une épigramme.


II

Le temps crée les hommes de génie pour qu’à leur tour les hommes de génie aient à créer leur temps. Tout grand esprit est à la fois enfant et père, d’abord disciple de son temps, ensuite