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commente du plus bel entrain, galant, spirituel, mêlant le persiflage à sa romance et vous faisant avaler cette gondole vénitienne. d’où sort une Espagnole avec son Espagnol ! Il n’y a pas à dire, c’est un petit chef-d’œuvre d’art tout moderne, que la musique de ce ballet, une suite d’orchestre : avec havanaises et sévillanes du pittoresque le plus délicat. Souvenez-vous de l’ancienne méthode, comparez à ce style chorégraphique les airs de danse d’Auber, qui n’en restent pourtant pas moins des modèles, et voyez le progrès ou plutôt l’évolution. Dans la Muette, le motif est tout, le travail compte à peine ; dans Françoise de Rimini, au contraire, le travail, la curiosité prédomine, les arabesques s’enroulent, se contournent et tandis que vous les suivez dans le mirage, tout à coup, de la farandole sonore se détache une phrase accentuée, nette et précise ; la Habañera par exemple. Vous préludiez avec Chopin, voici Bizet. Remarquez bien qu’il n’est point ici question d’emprunts vulgaires, je veux parler de la variété, de l’abondance des matières, d’une sorte de mainmise sur tous les styles fort à sa place dans un ballet, et vrai jeu de prince. Pendant que nous sommes au chapitre des divertissemens, signalons le joli chœur des pages au troisième acte. M. Ambroise Thomas est d’ailleurs tout à fait maître en ces badinages. Lui qui s’entend comme personne à faire grand n’a peut-être pas son pareil dans les minuties. A la scène de l’esplanade dans Hamlet, à ce magnifique prologue que je viens de citer, opposez tant d’impromptus galans, vous serez émerveillé du contraste. On a beau grandir et vieillir, on n’abdique jamais complètement ses origines ; il y a de l’opéra comique et même de l’opérette dans Françoise de Rimini et j’avoue que cette note de Psyché et de Mignon, très saisissable dans le rôle d’Ascanio et dans ce qui s’y rattache, ne me déplaît aucunement. L’art et la culture justifient tout. « Si c’est un crime d’aimer le vin d’Espagne, qu’on me pende, » disait Falstaff ; m’est avis que Mozart devait penser ainsi de l’opérette, puisqu’il en mettait jusque dans la Flûte enchantée. J’ai dit les beaux côtés de la partition, j’en ai fait ressortir les urbanités et les délicatesses, abordons l’argument pathétique.

Le premier acte s’ouvre par le duo du livre, ce qui signifie que, dès le début, la situation capitale est escomptée. N’insistons pas sur cette maladresse, dont a dû sourire l’ombre de Scribe, égarée sans doute par là dans quelques nimbes. Francesca et Paolo lisent ensemble ; le dialogue tendre d’abord, presque dolent, s’anime peu à peu. Ne vous fiez pas à cet archaïsme de fabliau, ces langueurs, ces longs soupirs annoncent l’orage. Leurs bouches se rencontrent, ; il éclate :

La bocca mi baciò tutto tremante.