Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vers la source supérieure de toute substance et de toute force, les autres retournant vers l’immanence qui ferme cette source et enferme toutes les causes possibles dans le sein de la matière éternelle. Assurément non. Nous avons étalé le spectacle instructif de cette opposition de tendances issues de la même école pour montrer, par un éclatant exemple, que l’esprit humain est de telle nature qu’on ne peut l’empêcher, quoi qu’on fasse, de dogmatiser sur l’essence des choses ; que la philosophie positive poursuivait une chimère quand elle posait son fameux principe « de l’absence indivisible d’affirmation et de négation ; » que pas un seul des représentans les plus connus de cette philosophie ne s’est montré fidèle à ce programme ; que tous enfin ont affirmé ou nié quelque chose au-delà des faits sensibles et des lois, les uns en montrant les problèmes inaccessibles suspendus devant l’esprit et l’attirant de plus en plus, les autres en les supprimant et déclarant tout simplement que la croyance à ces problèmes était la dernière superstition de l’esprit humain. Dans les deux cas, il y a eu infraction évidente au programme primitif de l’école, et ce fait constant, où se révèle une loi de la pensée, méritait assurément d’être signalé, quelle que soit d’ailleurs la conclusion que l’on doive en tirer.


III

Les formes du scepticisme varient selon les natures d’esprit et selon les temps. Ce n’est que pour de grandes âmes, rares à toutes les époques et ravagées par la pensée intérieure, qu’il peut être question d’un doute comme celui de Pascal, qui n’est que la recherche ardente des vérités supérieures et le désespoir de ne pouvoir leur donner l’évidence de la géométrie. Il ne peut s’agir non plus, sauf pour quelques dilettantes, du doute érudit, élégant, épicurien à la façon de Montaigne, et pas davantage de la critique savante, hérissée d’abstractions et de formules, de Kant, sauf pour les philosophes de profession, les seuls qui puissent être sensibles aux troubles de l’idéalisme subjectif. Le positivisme s’offrait tout naturellement à un grand nombre d’intelligences de ce temps, les unes détestant et méprisant d’instinct la métaphysique qu’elles ne connaissent pas, les autres fatiguées des discussions éternelles et inutiles. Elles ont trouvé dans cette philosophie la forme prédestinée et populaire du scepticisme dans un temps comme le nôtre, témoin du progrès des sciences, de leurs fécondes applications, de la constance et de la régularité de leurs résultats. C’est un scepticisme limité. A vrai dire, il n’y a plus guère de scepticisme