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quelque sorte, le principe intérieur de notre bourgeoisie française, et à Paris comme en province, est le besoin de la considération. Si l’on ne se respecte pas soi-même, on fait, on agit, on parle comme si l’on se respectait. La décence du langage, le choix prétentieux des termes, la respectabilité de la phrase, poussée jusqu’à la solennité ridicule de M. Prudhomme, voilà le propre du bourgeois, et le signe où les philistins, comme on disait jadis, se reconnaissent entre eux. C’est aussi pourquoi l’hypocrisie, par-dessus tous les autres vices, est le vrai vice des bourgeoisies, en Angleterre comme en France, le vice de Tartufe et de M. Pecksniff. Le grand seigneur ne se donne pas la peine de cacher ses vices ; ils lui sont un signe de race et souvent même des moyens de séduction : ce que la vertueuse Clarisse aime en son Lovelace, qu’est-ce autre chose que le plus brillant des roués ? Un ouvrier se garderait de dissimuler les siens ; ils lui sont l’affirmation de son indépendance et qu’il a le droit de se gouverner comme il veut : lorsque Coupeau s’absinthe, il se prouve à lui-même qu’il n’a pas peur de Gervaise. Le bourgeois a besoin de l’estime et de la déférence du bourgeois. Les autres sont capables, ou même coutumiers, d’en dire plus qu’ils n’en font : celui-ci, sa pente habituelle est d’en faire plus qu’il n’en dit. C’est ce qui achève de me rendre ici le procédé de M. Zola tout-à-fait incompréhensible. Car on ne va pas plus aveuglément à l’encontre du but que l’on se proposait. Ce qu’il voulait nous montrer dans Pot-Bouille, et j’emprunte fidèlement les expressions de M. Paul Alexis, c’était « le pot-au-feu bourgeois, le train-train du foyer, la cuisine de tous les jours, cuisine terriblement louche et menteuse sous son apparente bonhomie, » tout ce qui se passe enfin dans ces maisons d’aspect décent et respectable qui sont, à ce qu’il parait, les repaires de la bourgeoisie parisienne. Mais au moins fallait-il qu’il y mît des bourgeois, dont le langage et l’action fussent bourgeois, bourgeoises les mœurs et bourgeoises les manières, au lieu que, justement, tous ces Bachelard et tous ces Campardon, tous ces Mouret et tous ces Trublot, tous ces Duveyrier et tous ces Gueulin n’ont rien de si remarquable que le parfait cynisme avec lequel ils sont ce qu’ils sont ; et rien au monde n’est moins bourgeois.

Je le regrette pour moi d’autant plus vivement que, peut-être, en reprenant ici l’une des idées qui lui sont évidemment chères, peut-être M. Zola tenait-il un beau roman. L’irréconciliable ennemi du naturalisme, c’est le romantisme, et parmi les sujets favoris du romantisme, s’il en est contre qui le naturalisme ne se lasse pas de renouveler l’assaut, c’est la glorification de l’adultère. Et nous aussi, comme si nous étions un simple naturaliste, nous en avons assez de ce mari toujours bête et brutal, de cette femme toujours incomprise et victime, de cet amant toujours noble et beau, nous en avons assez, et par-dessus la tête.