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Il suffit de lire le Peintre de Saltzbourg et le petit opuscule qui lui fait suite, les Méditations du cloître, pour comprendre comment le werthérisme de Nodier le ramena au catholicisme. Le cri qui termine ce dernier opuscule est à cet égard très significatif : « Je le déclare avec amertume, avec effroi : le pistolet de Werther et la hache du bourreau nous ont déjà décimés ! Cette génération se lève et vous demande des cloîtres. » Ce werthérisme ne s’effaça jamais chez Nodier et il aimait visiblement à lui rapporter ce qu’il y avait de meilleur en lui et chez ses contemporains. Il lui était si cher que bien longtemps après ces exaltations de la première jeunesse, en pleine restauration, il lui est arrivé d’en écrire l’apologie morale. Nous voulons parler du petit roman d’Adèle, publié en 1820, mais que Sainte-Beuve soupçonnait avoir été écrit à une époque très antérieure, supposition que justifie assez bien le monde particulier que Nodier y a mis en scène. Ce monde est celui des émigrés de cette première rentrée partielle et silencieuse qui s’opéra sous le consulat et le commencement de l’empire, et Nodier le juge avec une demi-sévérité en vertu des principes qu’on peut tirer du werthérisme. Dans ce monde, il distingue deux sortes d’âmes : celles que le malheur a laissées opulentes de tous leurs préjugés et celles qu’il a enrichies de tristesse et de dégoût de la terre et de la vie. Le héros, Gaston de Germancé, appartient à cette seconde classe d’âmes. C’est, un Werther nuancé d’Obermann qui veut au moins tirer de ses infortunes le profit d’aimer sans contrainte, de sentir avec liberté, de penser sans égoïsme de caste. Puisque la fatalité du temps a détruit la société dans laquelle il était né, il juge que c’est le moins qu’il reprenne quelques-uns des biens que les convenances de cette société l’auraient forcé de sacrifier, et il veut pour son âme l’expansion la plus large et l’horizon le plus vaste possible, ce qui n’est pas si mal raisonner. Cependant il est seul à sentir le prix de ce retour à la nature par la tristesse et le désespoir ; de tous ceux qui l’approchent, mère, fiancée, parens, amis, pas un n’a songé à demander au malheur le rajeunissement moral qu’il en attend. C’est un monde froid, sec, inébranlable dans ses préjugés, qui attribue aux conventions de caste les vertus des choses naturelles et attache à la franchise des sentimens une idée de danger social. Ce sujet de la mésalliance, dont la fréquence chez les romanciers des vingt-cinq. premières années de ce siècle suffirait seule à indiquer combien cette société renouvelée par la révolution était encore près de l’ancien régime, est le terrain sur lequel les différens personnages d’Adèle se rencontrent pour se contredire et se combattre. Impossible de dire plus clairement : ceux que la révolution n’a pas laissés incurablement tristes, ceux qui peuvent se retrouver au retour tels qu’ils sont partis, ceux-là sont décidément de race inférieure, si même ils