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II

« Jeunesse du prince, source des belles fortunes, » a dit un moraliste. La jeunesse de la reine Victoria, — jeunesse paisible et chaste, — ne fit la fortune d’aucun favori ni même d’aucune favorite. Elle retarda seulement de deux ans la chute du cabinet whig. Voici comment.

Melbourne et ses collègues se discréditaient peu à peu par leur faiblesse et par le décousu de leur politique, tandis que l’opposition conservatrice, habilement dirigée, gagnait sans cesse du terrain. Les dernières mesures proposées par le ministère n’avaient pu être votées que grâce à l’appui de Peel, et après avoir subi des modifications exigées par lui. Les radicaux trouvaient cette situation humiliante, et l’un d’eux, Leader, la signalait dans les termes suivans : « C’est l’honorable député de Tamworth (Robert Peel) qui gouverne l’Angleterre. C’est l’honorable députe de Dublin (O’Connell) qui gouverne l’Irlande. Les whigs ne gouvernent que les bureaux du ministère. L’honorable député de Tamworth se contente d’avoir le pouvoir sans les places ; les whigs se contentent d’avoir les places sans le pouvoir. » Et l’orateur ajoutait que, si jamais on demandait un vote de confiance général en faveur du gouvernement, dix ou douze députés radicaux, le refuseraient certainement. La prédiction ne tarda pas à se vérifier. Dans la séance du 6 mai 1839, à propos d’une question relativement peu importante, un conflit entre le gouvernement et la législature coloniale de la Jamaïque, dix radicaux votèrent avec l’opposition. Le cabinet Melbourne n’eut qu’une majorité de cinq voix, qu’il trouva insuffisante. Les ministres donnèrent leur démission. Peel fut appelé au palais pour former un nouveau cabinet.

La reine, en montant sur le trône, avait trouvé les libéraux au pouvoir. C’était un ministère libéral qui avait fait voter sa liste civile et qui avait réglé la composition de sa maison. Les dames dont on l’avait entourée et qui formaient toute son intimité appartenaient aux grandes familles de l’aristocratie whig. Melbourne avait profité de toutes ces circonstances pour prendre un certain crédit sur l’esprit de la reine. C’était un homme politique de second ordre, mais un homme du monde accompli. De ses succès de jeunesse il avait gardé cette aisance de manières et ce charme personnel qui font rarement mauvais effet, même sur les plus honnêtes femmes. Ses adversaires, à ce point de vue, lui étaient fort inférieurs. Wellington n’avait pas l’ombre de conversation, et l’honnête Peel était un peu gauche. Il le fit bien voir dans les négociations pour la