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Henner, d’une blancheur ivoirine dans les clairs, d’un brun fauve dans les ombres. C’est dans ces mêmes tons éburnéens que le corps de l’enfant ressort en saisissant relief sur les fonds presque noirs des verdures et sur le terrain bitumineux du premier plan. Quel modelé large et ferme ! Quelle souplesse grasse dans la pâte ! quel dessin savant ! Mais ce qui est surtout admirable, c’est que la figure n’est pour ainsi dire dessinée qu’avec de la lumière. Les jeux du clair-obscur accusent seuls le galbe et en perdent le contour dans la forme même. Le Barra est le tableau le plus complet du Salon. C’est seulement devant l’œuvre de M. Henner qu’on peut songer à la perfection absolue des maîtres anciens. Si la médaille d’honneur doit glorifier les grandes conceptions, qu’on la donne à M. Puvis de Chavannes ; si la médaille doit sacrer l’art du peintre proprement dit, M. Henner la mérite plus que quiconque.

La Source de M. Thirion est sans doute la nymphe Hippocrène. Assise dans un fond de paysage dont les arbres aux verts métalliques et les rochers aux irisations de pierreries rappellent la manière de M. Gustave Moreau, elle regarde un poète qui est venu boire ses eaux magiques et auquel un petit Amour présente une coupe d’or. L’invention est, comme on voit, assez pauvre, mais la peinture est bonne : dessin correct, modelé souple, carnations d’un gris rosé très lumineux. L’Idylle de M. Raphaël Collin, un nom qui paraît cependant prédestiné, a pour personnages un Daphnis dans le costume d’Adam et une Chloé dans le costume d’Eve, devisant sur la lisière d’une forêt. Ces deux figures sont traitées dans le parti-pris de plein air à la mode ; c’est-à-dire que, sans ombre ni lumière, elles se découpent comme de plates silhouettes dans une demi-teinte uniforme. Si encore elles rachetaient ce manque de relief et de couleur par le sentiment ou par le dessin ! Mais quel galbe pauvre et vide ! quelle expression banale ! M. Priou fait réveiller la fée du Printemps par un essaim d’amours qui murmurent à son oreille des chansons voluptueuses et enlèvent les voiles diaphanes dont elle est vêtue. C’est la grâce par le maniérisme. Figurez-vous une nymphe de Bouguereau avec plus de légèreté dans les draperies, qui laissent transparaître des chairs d’une pâte plus ferme et plus grasse.

La Vérité, de M. Paul Baudry, a déjà été exposée, dans un cercle. Nous en avons loué ici[1] la couleur nacrée et l’adorable vénusté. M. Ary Renan portera dignement un nom illustre. Il n’est pas besoin de recourir au livret pour voir que ce tout jeune peintre est élève de Puvis de Chavannes. On le pressent à la vue de ce tableau qui, dans un petit cadre, a le caractère de la grande peinture. Le Plongeur vient de remonter à la surface de la mer. Brisé et mourant,

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1880.