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distinct sur le même morceau de terre. Dès le premier jour de la séparation, un génie patriotique local s’est révélé, de nombreuses alliances n’ont pu maintenir la fusion, et, bien plus, le jour où l’une des deux nations a mis le pied chez l’autre, la moins puissante des deux s’est regardée comme esclave jusqu’à ce que, par un effort viril, elle ait forcé son puissant voisin à repasser la frontière ; et le vaincu n’a jamais oublié depuis « les soixante ans de captivité. » Si ce peuple détaché d’une branche commune, la noble nation espagnole, n’avait pas eu sa fonction dans l’humanité, et son génie propre, il est clair qu’il eût été absorbé et n’aurait point constitué une personnalité politique ; mais, à la fin du XVe siècle, par des élans successifs de génie, le Portugal a pénétré les mystères d’un monde ignoré, et l’Europe est devenue attentive. On conçoit donc, malgré les rêves des politiciens et l’idéal poursuivi par certains hommes d’état, que chacune des deux nations ait le droit de se considérer comme formait une unité douée d’un caractère propre. Si on ajoute à cela que le Portugal jouit d’une autonomie politique sous une dynastie spéciale, il n’y a pas lieu de s’étonner de ce que l’orgueil national se pique d’avoir enfanté un art portugais ; qu’ayant eu son Vasco de Gama et son Camoens, il les oppose parfois à Colomb et à Cervantes, et que, à ceux qui lui parlent de Gonzalve, il réponde par Albuquerque. Dans ce domaine des arts, quelques écrivains nationaux voudraient même écrire les noms de Gran-Vasco à côté de celui de Juan de Juanès et opposer Gil Vicente à Juan de Arfe, tandis que d’autres, au contraire, contestent à leur propre pays cette supériorité.

La prétention du Portugal est-elle légitime ? Existe-t-il une école portugaise et pouvait-il en exister une ? C’est entrer au vif de la seule question qui soit en cause ; car il ne s’agit point de compter un à un des objets plus ou moins ingénieusement ciselés et d’une composition plus ou moins heureuse, mais bien de reconnaître si, dans l’ensemble de l’histoire du travail humain, nous constatons là une note particulière.

En ce qui concerne la race elle-même, l’étude des premiers monumens de cette partie de la Péninsule présente une particularité qui pourrait avoir eu son influence très déterminée. Sous le terme générique d’Antas, les dolmens, les cromlechs, les menhirs, les allées couvertes sont très nombreux depuis l’Alemtejo jusqu’au Minho ; Viriathe, le héros national, le Vercingétorix de la Lusitanie, est un Celte ; l’élément celtique a donc pu prédominer dans la race. L’influence romaine, très visible encore dans dix-huit villes, n’a cependant pas laissé plus de traces que dans le reste la Péninsule, et quant à l’élément goth et visigoth, représenté dans l’art par les