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attentif permet de déterminer la part exacte de chaque influence et de décomposer les courans. Comme les vrais principes de l’art ne doivent jamais être sacrifiés, il faut constater nettement que la facilité avec laquelle les artistes du pays s’assimilaient les formes étrangères, n’a pas peu contribué à les détourner du but idéal : une forme originale en rapport avec l’esprit du pays, les conditions de la matière mise en œuvre, et surtout l’usage auquel on la destine. Mais la vitalité était puissante, la force de production considérable, et (toute proportion gardée, bien entendu) il semble qu’aucun pays de l’Europe, en vidant ses trésors, et en ne faisant appel qu’aux produits d’origine nationale, n’aurait pu offrir autant de pièces importantes aux yeux des étrangers.

Le résultat d’un tel effort devrait être un progrès décisif pour le pays qui vient de l’accomplir ; il a pu se reconnaître, constater le point de départ, mesurer l’espace parcouru, envisager le point d’arrivée et comparer les résultats. Au point de vue de l’histoire de l’art, les archives sont là, complètes, sinon toutes classées ; les inventaires existent depuis le XIVe siècle jusqu’aujourd’hui, malgré des vicissitudes sans nombre et des cataclysmes dont il y a peu d’exemples dans le monde. Il n’y a pas un des riches objets qu’on nous a présentés, dont on ne puisse, par des investigations habilement dirigées, retrouver facilement l’origine. Enfin, tout un personnel d’écrivains, d’artistes, d’amateurs, de bibliothécaires et d’archivistes, çà et là, dans des revues locales et des publications dont nous avons pu apprécier le mérite, fournissent chaque jour des élémens qui ne doivent pas rester épars. On conteste que la plupart des œuvres que nous avons eues sous les yeux soient sorties des mains d’artistes portugais, et on en arrive, je le crois, à exagérer la part des étrangers dans la production nationale ; les preuves des origines sont à la « Torre de Tombo, » dépôt des archives de l’état. Les auteurs que nous avons cités viennent de nous fournir de précieux inventaires, et, à l’occasion de l’exposition actuelle, nombre d’écrivains et d’archéologues ont fait des investigations dans ce sens. L’histoire de l’art, ébauchée seulement par Raczinski, est là en germe ; c’est aux nationaux à entrer vigoureusement dans cette voie ; ils rendront ainsi à l’art portugais son état civil. Si bien intentionnés qu’ils soient, les étrangers entrent difficilement dans le génie d’une nation ; tout au plus peut-on dire que ceux d’entre eux qui sont habitués aux longs voyages, au frottement des peuples divers, sont plus dégagés de préjugés que les nationaux, et peuvent fixer avec plus d’équité la part qui revient au génie d’un ; pays dans l’histoire des arts du monde entier.


CHARLES YRIARTE.