Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tonnerre, dont le caractère répondait à l’existence tourmentée d’une tribu nomade, errant au milieu d’une nature sauvage, qui les menaçait sans cesse de ses violences. Ce fut aussi le dieu de la victoire ; il soumit aux Hébreux les peuplades cananéennes et phéniciennes sur le territoire desquelles ils parvinrent enfin à trouver une résidence fixe ; il vainquit leurs dieux particuliers et établit sur eux sa domination. Seulement en les subjuguant il ne les expulsa pas, car ils subsistèrent longtemps à côté de lui, objets d’un culte inférieur sans doute, mais qui ne fut pourtant jamais déserté. Il fallut des siècles et tout l’effort des prophètes pour les faire disparaître, encore ne furent-ils pas réellement chassés ; au lieu de les éliminer, Yahveh les absorba : à mesure que les Hébreux quittèrent l’existence de tribu courant les aventures pour devenir une véritable nation. Ils adoptèrent sans même s’en apercevoir les élémens essentiels des religions du pays où ils s’étaient fixés ; l’image sombre du dieu du désert commença à emprunter différens traits aux divinités locales ; Yaveh s’adoucit à leur contact, il s’assimila leurs principaux attributs, il devint susceptible de présider à l’agriculture, à la paix, à l’abondance aussi bien qu’à la conquête. Dès lors, il fut en mesure de satisfaire seul aux besoins multiples d’une population civilisée et définitivement établie ; il ne fut plus nécessaire de recourir à Baal pour suppléer à ce qui lui manquait ; on put, qu’on me passe le mot, se contenter de lui ; mais s’il devint le dieu unique d’Israël, ce ne fut qu’après avoir en quelque sorte combiné tous les élémens divins qui flottaient autour de lui et qui s’étaient maintenus longtemps à ses côtés.

L’histoire des Hébreux, depuis leur arrivée en Palestine jusqu’à la captivité, n’est autre chose que la longue lutte de leur dieu national contre les dieux indigènes. Tous les peuples antiques croyaient avoir besoin de s’assurer l’appui d’un ou de plusieurs dieux, de faire contrat avec eux, de les opposer aux dieux de leurs voisins et de leurs ennemis. Les Hébreux suivirent tout simplement la loi commune. Il n’est point exact de dire, comme on l’a dit trop souvent, qu’ils atteignirent sans aucun effort à la notion d’un dieu suprême ; ce fut, au contraire, le résultat dernier, le produit lent et définitif de leur développement moral et historique ; l’on pourrait même sans témérité aller jusqu’à prétendre qu’avant l’islamisme, lequel n’est, en somme, qu’une hérésie juive, la conception monothéiste n’a jamais eu une netteté absolue. Yahveh n’était point ce dieu du monde, ce dieu universel, la négation des autres dieux, il n’était que le dieu des Hébreux. Durant toute la royauté juive, son nom servit d’étendard au parti national, tandis que les partis étrangers suivaient celui des dieux étrangers. Enfin, grâce à l’admirable