Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de repos passaient vite, et le lendemain à quatre heures, souvent plus tôt, quand un travail pressait, M. Dufaure se mettait à sa table, ayant de la sorte six heures devant lui pour une de ces études approfondies dans lesquelles se complaisait sa rigoureuse poursuite de la vérité. Souvent il lui arrivait de refuser une cause après un examen où sa conscience se faisait juge. Il dut à cette sévérité de gagner plus de procès que la plupart des avocats de son temps. En lui apportant un dossier, le plaideur savait qu’il avait à franchir un premier degré de juridiction. Souvent l’instruction était longue, des notes étaient réclamées, des conférences avec le plaideur avaient lieu, puis, l’enquête faite, la décision était rendue et, si le dossier était accepté, le procès était à demi gagné. Telle est la puissance exercée dans leur cabinet par un de ces avocats dont le vulgaire ne sait pas l’autorité, que, pour un plaideur sincère, une hésitation de M. Dufaure ou de M. Hébert rendait un arrangement nécessaire.

M. Dufaure professait une grande admiration pour l’institution des justices de paix. En réalité, il en exerça pendant dix-huit ans la charge dans son acception la plus élevée, et il avait autant de goût à étouffer dans leur germe les procès que d’autres mettaient de soin à les entretenir.

Connaissant à fond chacune des affaires qu’il plaidait, comme si elle eût été l’unique objet de ses soins, dès les premiers mots il s’emparait du sujet, posait le problème, expliquait le fait, laissait pressentir la solution en un nombre si restreint de phrases qu’il était parvenu au cœur de la discussion en un temps qui n’aurait pas suffi à tout autre pour achever l’exposition. Il était impossible d’être à la fois plus rapide et si complet. Un de ceux qui l’ont le mieux loué disait en peignant son talent : « Il est une éloquence pressée d’agir qui va d’abord droit à la cause et, sans s’en laisser distraire un moment, en tire tous ses moyens, qui, d’argumens décisifs, habilement gradués, fortement liés, forme autour d’elle comme une armure impénétrable à toutes les atteintes, dont le mouvement, la chaleur sont surtout dans le progrès logique des idées, dont l’éclat résulte de la propriété énergique, de la portée agressive ou défensive de l’expression ; éloquence simple, sobre, austère même, mais d’un effet puissant et à l’action de laquelle concourt cette grande force oratoire qu’une définition célèbre chez les anciens et digne de l’adoption des modernes plaçait dans la probité reconnue de l’orateur, dans l’ascendant de son caractère moral[1]. »

L’œuvre de l’orateur judiciaire échappe à l’analyse. Dispersée sur mille sujets divers, elle n’offre point de traits communs, et il

  1. M. Patin, Discours pour la réception de M. Dufaure, 7 avril 1864.