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son illustre ami, il terminait par ces mots si simples et pleins d’émotion contenue : . « Nous voilà tous, madame, avec le vide affreux que la mort a fait, dans nos rangs, fiers et émus au souvenir du passé, humiliés du présent et peu confians dans l’avenir, du moins dans celui qu’il nous sera donné de voir ! »

Ceux-là seuls qui ont vécu au milieu de l’opposition, sous un gouvernement absolu, savent quel mélange de petitesses et de nobles sentimens la société recèle alors dans son sein. Pendant que la valeur morale de quelques âmes s’élève, que les esprits supérieurs s’épurent, les plus médiocres vivent dans un mouvement perpétuel sans donner à leur vie d’autre but que de colporter les nouvelles et d’alimenter sans cesse les passions. M. Dufaure avait trop le goût de la mesure pour ne pas en souffrir : « Nos opinions, disait-il, se forment sur ces innombrables anecdotes qui, dans Paris, suppléent à la presse muette : anecdotes, les unes faites à plaisir, les autres exagérées à dessein ou sans le vouloir, mais qu’on ne recherche pas avec moins d’avidité, parce qu’on veut apprendre quelque chose. »

M. Dufaure avait besoin de s’arracher à cette atmosphère de frivolité dans laquelle il étouffait. Plus il souffrait des événemens contemporains, et plus il redoublait d’efforts pour échapper à l’obsession du dehors. C’est dans son cabinet, au milieu de la préparation des dossiers et des plaidoiries, qu’il trouvait l’oubli de ses tristesses. Doué d’une force de travail peu commune, il écartait tout ce qui pouvait troubler sa vie réglée. Le dimanche, sa famille et ses amis se partageaient ses rares heures de loisir, puis le travail reprenait ses droits, et aucune réunion ne l’empêchait d’être prêt à l’heure dite. Nul avocat ne demanda moins de remises. Les bras chargés de dossiers, la démarche alourdie par le poids des pièces, on le voyait entrer dans l’audience, consulter le rôle et s’asseoir à son banc avec la certitude qu’à l’appel de la cause, il se lèverait pour plaider.

Nul ne se doute, hors du Palais de Justice, de l’existence d’un avocat occupé. Les journées s’envolent sans qu’il soit possible de soustraire une heure au tumulte de la salle des Pas-Perdus, aux conversations de la bibliothèque, ou aux attentes fastidieuses des salles d’audience ; les deux heures qui séparent le retour au logis du repas du soir sont absorbées par la fiévreuse impatience des cliens. Le travail indispensable aux longues préparations des plaidoiries n’est donc possible qu’en prolongeant la soirée ou en devançant la matinée. C’est aux dépens de la nuit que, d’une manière ou de l’autre, il faut trouver le temps nécessaire au travail. M. Dufaure avait depuis longtemps fait son choix. La soirée était fort courte et toute consacrée à la vie de famille. Entre ses enfans dont il partageait les jeux et sa femme qui écoutait une lecture, les seuls instans