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naissance à ce sujet ; il nous parle d’une mosaïque dont les cubes se disjoignaient, comme par enchantement, sous l’action d’un courant d’eau, puis, à un moment donné, reprenaient machinalement leur place primitive. Quelques siècles plus tard, nous voyons se former, à propos d’un ouvrage du même genre, une légende plus étonnante encore. Procope raconte que l’on regarda comme autant de présages de malheur la chute des différentes parties du portrait en mosaïque de Théodoric, incrusté sur un monument du forum de Naples. Le haut de la figure se détacha d’abord : presque aussitôt Théodoric mourut. Huit années plus tard disparurent les cubes d’émail qui dessinaient la poitrine du conquérant goth : on ne tarda pas à apprendre la mort d’Athalaric, son petit-fils et successeur ; on fit coïncider la ruine de la partie centrale de la figure avec la mort d’Arnalasonthe ; enfin, au moment de la prise de Rome par Bélisaire, on vit tomber ce qui restait encore de la mosaïque, et personne ne douta plus que le règne des Goths ne touchât à sa fin.

Introduite à Rome dans les derniers temps de la république, la mosaïque arrive sous l’empire à son complet épanouissement. À partir du Ier siècle, temples et théâtres, forums, thermes, palais, villas demandent leur décoration aux habiles et patiens artistes qui, sous le nom de musivarii, se répandent jusque dans les moindres cités. Les maisons des patriciens de Pompéi nous montrent en quelle estime on tenait, dès le règne des Flaviens, le nouveau système décoratif. Avant même qu’il ait franchi le seuil, le visiteur découvre soit un joyeux Salve incrusté en cubes de marbre noir sur un fond blanc, soit un chien faisant mine de s’élancer sur lui, avec l’inscription Cave canem, ou encore, comme dans cette mosaïque de Pompéi, conservée au château de Chantilly, un chien du nom de Torquatus attaquant un sanglier, avec l’épigraphe : Cave Torquatum. Puis viennent des incrustations monochromes de la plus grande élégance, néréides montées sur des chevaux marins, scènes de chasse, de pêche, représentations mythologiques. Ces compositions, pleines de mouvement et de noblesse, alternent avec des pavemens purement décoratifs, dans lesquels des plaques de porphyre, de serpentine, de jaune ou de rouge antique, artistement découpées et assemblées, imitent les plus riches tapis. Dans les fragmens conservés au musée du Palatin, on remarque des fleurs traitées dans un style exquis ; ailleurs des grecques, des méandres, des entrelacs, des ornemens géométriques de la plus grande beauté. En continuant d’avancer, le visiteur découvre des tableaux en pierres dures, dont le fini n’a rien à envier aux miniatures les plus parfaites. Le triclinium est généralement orné de sujets en rapport avec sa destination : fruits, poissons, volailles ; parfois on se plût à simuler sur le sol les reliefs d’un festin, comme dans ce pavement