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du musée de Latran, où l’artiste s’est ingénié à couvrir le parquet de fragmens de raves et de choux, d’os de poulet, de débris d’écrevisses. Asarotos œcos, maison non balayée, tel est le titre sous lequel on désignait ces trompe-l’œil qui semblent avoir été fort en vogue, car on en rencontre jusqu’en Afrique. Les autres salles contiennent tour à tour des tableaux d’histoire, des scènes empruntées au théâtre, au cirque, à la vie de tous les jours (le Poète comique, au musée de Naples, les Courses de char, au musée de Lyon ; un Combat de gladiateurs, à la villa Borghèse), ou encore des représentations géographiques, telles que les grands paysages égyptiens, conservés l’un à Palestrine, l’autre à Rome. Les images des dieux, les portraits des hommes célèbres, d’élégantes arabesques et mille autres motifs leur font suite. L’empire de la mosaïque s’étend jusqu’à la salle de bains ou jusqu’à la fontaine : des cubes d’émail bleu, vert, jaune, rouge, y alternent avec des coquillages et dessinent les figures les plus variées.

Pendant cet âge d’or de l’art romain qui correspond au règne des douze Césars, les peintres en mosaïque, s’inspirant des traditions du génie grec, s’efforcent d’unir dans leurs compositions la liberté et la sagesse. Dans les mosaïques découvertes à Pompéi, l’harmonie des lignes n’est égalée que par la chaleur du coloris, la fermeté du modelé. Rien de plus riche et de plus vivant que le Bacchus monté sur un lion, au musée de Naples, rien de plus discret et de plus spirituel que le Poète comique, conservé dans la même collection. Une de ces compositions surtout est faite pour donner la plus haute idée du goût et de l’habileté des mosaïstes romains : depuis l’époque de sa découverte, en 1831, la grande page connue sous le nom de Bataille d’Arbelles n’a pas lassé l’admiration des connaisseurs.

Sous les Antonins, la tradition du grand art s’altère ; si l’on rencontre encore un certain nombre de peintures lapidaires qui témoignent de l’entente des effets décoratifs, surtout quand elles sont composées d’ornemens, il n’en est que trop où tout ce qui s’appelle unité, harmonie, style, fait absolument défaut. Oubliant que leur premier devoir est d’entrer dans les vues de l’architecte, dont ils sont les auxiliaires, de s’inspirer de ses principes, de régler leurs projets sur les siens, les mosaïstes ne songent plus qu’à laisser un libre frein à leur ambition, à leur fantaisie. Là où la disposition générale du temple ou du palais qu’ils sont chargés de décorer exige une composition savamment pondérée, des groupes d’une netteté sculpturale, ils prodiguent les détails et embarrassent l’œil par dès lignes heurtées et confuses. On leur demande de procéder par grandes masses : ils s’obstinent à modeler chaque figure avec le fini que comporte une miniature. Ils cèdent surtout à la tentation de traiter leurs incrustations comme des tableaux indépendans de l’édifice auquel elles doivent servir d’ornement : aux fonds unis ils substituent