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des paysages compliqués, avec des effets de perspective aérienne qui donneraient à réfléchir aux impressionnistes modernes, ou bien des amoncellemens d’édifices au milieu desquels l’œil s’égare et qui écrasent complètement les figures du premier plan.

Ces défauts sont particulièrement sensibles dans deux mosaïques conservées l’une au musée Kircher, à Rome, l’autre au palais Barberini, à Palestrine, et toutes deux consacrées à l’illustration de l’Egypte. Dans la dernière, pour employer les expressions de M. Gerspach, ce ne sont qu’îles chargées de temples, de fermes, de villas, de berceaux treillages couverts de plantes grimpantes, où se passent les scènes les plus animées de la vie civile ou religieuse ; le fleuve est sillonné par de grands bateaux ou des canots en papyrus ; des indigènes y font une chasse acharnée aux crocodiles et aux hippopotames ; vers le haut de la composition, dont les sections sont superposées, sans paysage, les édifices font place à des rochers peuplés d’animaux, les uns fantastiques, les autres réels, serpens, onocentaures, caméléopards, sangliers, crabes, singes, panthères, tigres, lions, chameaux, chiens-loups, tortues ; des chasseurs, postés sur les sommets, abattent le gibier à coups de flèches. Dans cette étrange ménagerie, les figures se mêlent et se confondent, comme si l’auteur avait pris à tâche de braver toutes les lois de la symétrie ; la vulgarité de la conception, la laideur des types, la violence grimaçante des mouvemens achèvent de former la contradiction la plus complète qui se puisse imaginer avec la belle et noble ordonnance du temple de la Fortune, car telle était la destination de l’édifice auquel la mosaïque de Palestrine servait à l’origine d’ornement.

Les imperfections, peut-être voulues, que l’on constate dans ces deux ouvrages, dont on est aujourd’hui disposé à placer l’exécution sous le règne d’Hadrien, ne doivent pas nous faire oublier la science très réelle du dessin et du coloris, et je ne sais quelle chaleur, quel souffle de vie, qui rachètent bien des erreurs. Les auteurs d’une mosaïque postérieure de trois quarts de siècle et qui marque une nouvelle, on pourrait presque dire une dernière étape dans la voie de la décadence, l’immense pavement des thermes de Caracalla, avec les portraits des gladiateurs célèbres de l’époque, n’ont plus la moindre qualité à nous offrir en échange de leurs défauts : l’incorrection du dessin, la grossièreté du coloris, vont de pair avec l’abaissement de la pensée ; rien ne se saurait concevoir de plus hideux que ces figures bestiales, chez lesquelles la force elle-même ne paraît plus qu’un produit malsain d’une civilisation déchue. Il était temps qu’une autre inspiration vînt renouveler et vivifier cette forme de la peinture qui, chez les Romains, avait le privilège de primer et d’éclipser toutes les autres.