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mettre en scène dans un appareil d’infirmité et de misère. Aristophane l’en a raillé. Sophocle, dans un âge avancé, composant l’Œdipe à Colone, a pu ne point négliger des moyens qui avaient réussi à son rival et qui d’ailleurs étaient en situation. Mais du moins, il n’y a recours qu’à de rares momens. Et puis, s’il est vrai qu’Œdipe ait ainsi para sur le théâtre, combien le spectacle n’était-il pas relevé par le costume tragique, racheté par la poésie et par la majesté du drame tout entier ! Que M. Hugues nous pardonne : son ouvrage est des plus remarquables ; mais quand la sculpture s’inspire de la poésie, privée qu’elle est de succession et de nuances, muette de paroles, elle doit s’appliquera nous donner une vue synoptique, une synthèse morale du sujet. Ce qui caractérise le chef-d’œuvre de Sophocle, c’est un mélange de naturel et d’élévation, de vraisemblance et de merveilleux, d’humain et de surhumain à la fois. Œdipe, si misérable qu’il soit, est un héros qui justement, à cette heure même, se réconcilie avec la fatalité et se rapproche des dieux.

C’est à Rome qu’il faudrait traiter de tels sujets. Quoi qu’on en dise, le séjour de la ville éternelle sera toujours un bienfait sans égal pour un jeune artiste. La nature y est plus belle que chez nous. On trouve dans ce milieu un accroissement de pensée et de force, une idée de grandeur qui viennent à propos soutenir un talent qui veut prendre possession d’une fiction et s’élever au style. Nous en avons cette année un exemple de plus dans un groupe intitulé l’Age de fer, et qui est le dernier travail exécuté par M. Lanson à la villa Médicis. La composition en est large et claire. Deux hommes viennent de combattre avec la lance. L’un, l’agresseur peut-être, a porté un coup inutile ; son arme s’est brisée en terre ; il est tombé. Le vainqueur étend la main sur son ennemi renversé et semble dire : « Du droit de la guerre, cet homme m’appartient ! » Geste fatal ! Le vaincu se tord sur lui-même, réduit qu’il est à l’impuissance par cette main mise qui accuse si bien qu’il a perdu sa liberté. Les personnages de ce groupe appartiennent à une race indéterminée, mais superbe. Ce qui rend l’action plus saisissante, c’est que ces deux adversaires se ressemblent : on dirait deux frères dont l’un devient l’esclave de l’autre. L’exécution, bien qu’elle soit très vraie et très étudiée, ne donne en aucune manière l’idée d’un art subordonné. Aucune époque n’a préoccupé l’artiste ; aucun modèle ne l’a asservi. L’idée et les corps qu’elle anime sont sortis d’une conception puissante. C’est une création, c’est une œuvre de maître.

A vrai dire, on ne fait plus guère aujourd’hui de Grecs ni de Romains. Le goût en est passé ; la curiosité en est épuisée. On a pris