chevaleresque, humanitaire, un redresseur de torts dévoué au service des faibles et des opprimés, prêt à jouer sa vie pour la chimère qui le hantait. Ils savaient aussi que ses conquêtes et sa renommée ne lui avaient rien rapporté. Ils savaient que celui qui avait donné des couronnes s’était retiré dans son île avec vingt-cinq francs dans sa poche. Ils admiraient son désintéressement, sa pauvreté volontaire, vertu rare en tout temps, rare surtout dans ce siècle. Le héros de Marsala était devenu le solitaire de Caprera, et à ce titre il faisait encore figure. Les hommes célèbres devraient toujours s’arranger pour finir leur vie dans une île, rien ne les grandit plus que la solitude qu’elle fait autour d’eux. Plus l’île est petite, plus l’homme paraît grand, et Caprera n’est qu’un tout petit îlot.
Ce que les peuples ne savaient pas, c’est à quel point les héros qui manquent de bon sens sont incommodes et fâcheux dans le train ordinaire de la vie. Pour les tenir en haleine, il leur faut des aventures, des équipées, des coups de main, de perpétuelles alertes. Ils ne se sentent vivre que les jours où ils mettent flamberge au vent ; ils voudraient que chaque matin la trompette leur sonnât le boute-selle, et ils méprisent le chant du coq. Mais une nation n’est pas disposée chaque matin à partir en guerre ; au lendemain des aventures, on retourne à sa charrue ou à son bureau, et il faut plaindre le sort des aventuriers sans emploi. Leur imagination les tourmente et le repos les consume. Ils ne savent pas se tenir tranquilles ; on a beaucoup de peine à enseigner ce bel art aux petits enfans, et les grands enfans ne l’apprennent jamais.
Jusqu’à la fin, Garibaldi ne put s’accoutumer aux situations régulières ; il eût dit volontiers comme ce personnage d’une comédie espagnole : « El orden me mata : L’ordre me tue. » Ce paladin ne s’intéressait qu’aux grandes causes, aux grandes idées, et les petits intérêts sont le fond de la vie et de la politique. Il n’en prenait pas son parti. Les bruits du monde, les bourdonnemens de la ruche humaine agaçaient cruellement ses oreilles et ses nerfs ; il ne comprenait que la musique de l’avenir. Rongé par l’ennui, il avait des bâillemens de lion qui, accroupi dans sa cage, regarde pousser ses ongles. Plus d’une fois, il brisa ses barreaux, s’échappa, se rua tout frémissant au travers des combinaisons préparées par les habiles et des trames les plus savamment ourdies ; c’était comme la brusque irruption du roman dans l’histoire, qui s’en tirait comme elle pouvait. Au début, il avait réussi dans ses équipées parce qu’il avait pour lui les circonstances, l’opinion publique, l’appui secret des sages qui se donnaient l’air de mépriser sa folie, et il s’était imaginé qu’il pouvait tout, qu’il ne tenait qu’à lui de remanier le monde à sa guise, de se faire obéir de la fortune en lui montrant sa cape et l’éclair de son épée. Après avoir eu le sens de l’à-propos, le