politique, ni un grand général, ni un homme de génie ; mais il faut avoir en soi quelque chose qui étonne et qui subjugue, le goût et le don de l’extraordinaire. Si on y ajoute l’art de la mise en scène, la science du décor, l’attitude superbe, le geste théâtral et une chemise rouge, on n’en est que plus sûr de ne pas manquer son effet. Quelqu’un a dit que l’héroïque Niçard qui vient de mourir avait été le dernier des condottieri. Il possédait assurément toutes les qualités de l’emploi. Il les avait déployées jadis à Montevideo, lorsqu’il était commandant en chef des flottes de l’Uruguay et qu’il guerroyait contre le dictateur Rosas. Il se surpassa lui-même dans cette expédition des Mille, où il conquit un royaume au pas de charge et qui est demeurée son titre le plus glorieux.
Personne ne savourait comme lui ce qu’il appelait « l’exquise volupté des entreprises ; » personne ne fut plus amoureux des périls, personne ne se sentit le cœur plus allègre et plus léger dans les hasards. Au courage le plus bouillant il joignait le sang-froid, la tranquillité dans l’audace. Jamais cette audace ne parut avec plus d’éclat que quand, devançant son armée, il pénétra dans Naples, seul avec un aide de camp, et qu’il vit tout un peuple qui avait juré de le mettre en pièces s’agenouiller devant lui, l’adorer comme un dieu. Il avait ses secrets, ses rubriques, il savait accomplir des choses étonnantes avec des ressources fort minces et par des moyens toujours irréguliers, et c’est là ce qui frappe le plus l’imagination des peuples. Aussi le prit-on longtemps et peut-être se prit-il lui-même pour un thaumaturge. N’affirmait-on pas en Sicile que, dans plus d’une mêlée, il avait été criblé de balles et qu’on l’avait vu secouer son manteau, que les balles en tombaient ?
Hélas ! il fallut en rabattre, on découvrit que ce vainqueur pouvait être vaincu, que ce thaumaturge n’était pas invulnérable, que celui qui secouait son manteau pour en faire tomber les balles venait d’être blessé à la jambe, et qu’il en était réduit, comme un simple mortel, à s’aider de béquilles pour marcher. Pourtant son prestige n’en souffrit point, mais son humeur s’en ressentit. Jusqu’alors il avait cru aveuglément à son étoile, à l’invincible puissance de sa folie et de son courage. La confiance fit place aux amertumes, aux aigreurs. Il écrivait : « En présence d’un premier amour, l’homme en vaut dix. Vieux comme je suis, je me reporte par la pensée à l’âge où je me sentais plein d’une vigueur indomptable, prêt à braver quelque péril que ce fût, et maintenant les aventures, les espérances, les gloires, tout croule sous le poids de mes années et de mes déceptions. » Mais s’il avait appris à douter, les peuples s’obstinaient à croire, et ses défaites comme ses béquilles leur étaient sacrées. Ils savaient que ce chef de partisans ne ressemblait pas à ceux d’autrefois, que c’était un condottiere