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habile sophisme ; il montra ce qu’avait été pour des esprits distingués, pour des âmes éprises de l’honneur national l’emploi de l’exil, il cita les écrits dans lesquels, par une sorte de tradition filiale, ils s’appliquaient à confondre dans un impartial éloge toutes les gloires de la France et prouva qu’aucun de ces écrits n’avait contenu une seule attaque contre l’empire. Il se demanda en d’habiles réticences ce qu’avait été, en un temps moins éloigné que celui où vivaient les Stuarts, la conduite d’autres prétendans et rechercha si l’écrit incriminé avait un seul des caractères d’un manifeste.

Dans son réquisitoire, le ministère public n’avait dressé qu’un long acte d’accusation contre le gouvernement de juillet afin de faire ressortir les grandeurs du second empire. M. Dufaure se refuse à le suivre dans ce dangereux parallèle. Il se contente de rappeler ce qu’était le gouvernement parlementaire et de citer le mot de M. Vivien lorsqu’il disait : « La liberté est une chose si sainte et si douce que je la prendrais de quelque main qu’elle sorte. Je serais heureux de la devoir à un Washington, elle me réconcilierait avec un Stuart et j’en saurais même gré à un Cromwell, s’il pouvait me la donner. » Ce souvenir satisfaisait son cœur autant que sa raison. Il attestait ainsi, en mettant la liberté au-dessus de tout, l’unité de sa foi politique.

La défense de M. Prévost-Paradol, poursuivi devant le tribunal correctionnel à la suite de la publication d’une brochure sur les Anciens partis, avait offert à M. Dufaure l’occasion de revenir sur le même sujet : « On a plusieurs fois, dit-il, reporté nos souvenirs à vingt années en arrière. Était-ce de cette manière que les anciens partis d’alors traitaient un gouvernement tolérant et modéré ? Attaques à main armée, invasions de territoire, débarquemens hostiles, attentats dans les rues de Paris, rien n’était épargné par deux vieux partis fanatiques de la force matérielle et des coups de main. »

En face de ces souvenirs, il montrait les hommes qui avaient appartenu au gouvernement parlementaire, ceux qui formaient alors ces anciens partis, « livrés paisiblement aux plus grands travaux qui puissent honorer leur temps, dans l’histoire, dans la philosophie, dans la politique, comme cet éminent écrivain que nous avons perdu il y a deux ans, donnant à son pays, au moment de mourir, son plus bel ouvrage. L’avenir dira donc que les anciens partis d’aujourd’hui, ces débris du régime parlementaire se sont assez respectés pour ne rien demander à la force matérielle, qu’ils n’ont cherché autre chose que de maintenir le feu sacré de leurs idées qui ne leur ont paru ni moins saines, ni moins nobles, pour avoir été vaincues. »

L’empire, à cette époque, n’avait pas seulement les libéraux pour adversaires. Un an après l’attentat d’Orsini, l’empereur, fidèle à d’anciennes promesses, avait commencé l’œuvre de l’unité italienne.