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des temps ! En vingt années, tout a changé de telle sorte que les souvenirs d’hier semblent d’anciennes réminiscences. Parce que la libre discussion ne ; leur a pas. donné le pouvoir, il est des gens qui sont prêts à blasphémer contre elle. En 1858, ceux qui. gémissaient du marasme des esprits voyaient à l’horizon la liberté comme uni mirage enchanteur destiné à calmer toutes les souffrances, en dissipant les ténèbres. Tous ceux qui la leur montraient étaient acclamés dans un cercle d’esprits en éveil, d’intelligences actives qui répétaient, à défaut d’une presse muette, toutes leurs paroles. Pas un journal ne put citer une ligne du plaidoyer de M. Dufaure ; mais les jeunes avocats qui avaient attendu six heures à la porte la faveur d’une place en un coin de la salle, les privilégiés qui avaient pu se serrer derrière le banc : où était assis le prévenu répétaient à l’envi des fragmens des harangues : la salle des Pas-Perdus, les conférences de stagiaires en retentissaient, M. Villemain exerçait sa surprenante mémoire à dicter le lendemain à un stagiaire, tout fier d’avoir osé prendre à la dérobée quelques notes, le discours de M. Berryer, et ces morceaux colportés et recopiés étaient réunis en Belgique, imprimés à Bruxelles et ramenés en France en petit nombre avec plus de peine que, sous Louis XIV, les gazettes de Hollande.

C’est ainsi que le procès de M. de Montalembert marque une date dans l’histoire du second empire : il fut l’occasion du premier symptôme de réveil du sentiment libéral en France. M. Dufaure y avait largement contribué.

Pour trouver au Palais de Justice et dans l’opinion publique à Paris une semblable secousse, il faut nous reporter en 1861. Dans un discours prononcé au sénat en faveur du royaume d’Italie et contre le pouvoir temporel, le prince Napoléon avait eu le triste courage d’insulter la famille d’Orléans. C’était une imprudence, elle lui coûta cher. Dans l’après-midi du 12 avril 1861, une petite brochure jaune fut mise en vente dans le quartier de la Bourse ; elle portait pour titre : Lettre sur l’histoire de France, par Henri d’Orléans, et contenait la plus sanglante réponse qu’insulteur ait jamais reçue. En deux heures, l’édition était enlevée, et quand le soir la police vint tenter une saisie, la boutique était vide. Dans Paris, les exemplaires se passaient de main en main et ce succès fut si prompt, si complet, l’esprit y éclatait avec une verve si française, il y avait là un coup de maître frappé si vite et porté si juste que les yeux se tournèrent aussitôt vers celui qui l’avait reçu.

Un procès fut la seule réponse. M. Dufaure soutint l’attaque. Le ministère public s’efforça de couvrir le prince Napoléon, de montrer les princes d’Orléans conspirant comme les Stuarts et lançant de loin des manifestes. Le défenseur du libraire Dumineray fit justice de cet