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la plus utile à ses opinions de l’heure présente pour suivre la plus belle, dont la beauté ne passera pas. Elles ont compté dans ce siècle un grand nombre de croyans ; Victor Hugo est de tous celui qui a pratiqué le plus fidèlement leur culte. A quatre-vingts ans, et malgré tant de divertissemens fâcheux, il donne encore l’exemple du labeur littéraire. Il est juste que cette constance ait en elle-même son prix ; il est juste aussi que tout le public la respecte, et dans le public entendez-bien que je comprends la critique. Non que je réclame l’honneur de compter parmi les lévites qui, chaque fois qu’il parle, encensent le grand-prêtre : pour ceux-là tout ce qu’il dit est également beau, étant divin et révélé. Mais leur superstition au moins est touchante, et je la préférerais presque à l’irrévérence de quelques autres.

S’il est toujours facile d’aligner des points d’admiration, il est facile aussi d’opposer à Victor Hugo une critique brutale ou gamine. Mais la brutalité, ici, ne serait que grossièreté pure, et la gaminerie me paraîtrait simple polissonnerie. L’une et l’autre, d’ailleurs, avec des airs d’indépendance, approcheraient de la naïveté. M. Zola, qui ne peut se tenir, lorsqu’un journal lui est ouvert, de dire son avis sur toutes choses, n’a pas manqué, l’an dernier, de donner dans ce ridicule, qui ne laisse pas d’être vilain. Il a comparé la situation de Victor Hugo, dans la famille des gens de lettres, à celle d’un grand-père entouré de ses petits-enfans : ceux-ci, par une convention pieuse, feignent de ne pas apercevoir les incommodités de son âge ; mais quelqu’un peut venir qui dénonce la convention ; M. Zola est ce quelqu’un. Je n’envie pas son courage ; je n’envie pas davantage l’esprit de qui fera remarquer, par exemple, que Torquemada brûlant les corps pour sauver les âmes rappelle Ugolin mangeant ses fils pour leur conserver un père. Entre les fanatiques d’une part, et les grossiers ou les plaisans de l’autre, il est une place pour la critique libre et décente : — autant que de balancer l’encensoir devant l’homme ou que de le répandre à terre et de cracher dans les cendres, il est peut-être intéressant d’étudier l’ouvrage et d’y trouver qu’après un demi-siècle la doctrine du plus grand des romantiques et son imagination marchent encore par les voies différentes où d’abord elles s’étaient engagées, et que ces voies sont allées toujours en s’écartant l’une de l’autre.

La doctrine de Victor Hugo en matière de théâtre est exposée clairement, dès 1827, dans la préface de Cromwell ; depuis, elle n’a pas varié. — La forme propre du théâtre romantique, c’est le drame ; « le caractère du drame, — je cite textuellement, — c’est le réel. » La tragédie et la comédie ont vécu, représentant, l’une « des abstractions de vices et de ridicules, » l’autre « des abstractions de crime, d’héroïsme et de vertu… Après ces abstractions, il reste quelque chose à représenter : l’homme. — La nature donc ! la nature et la vérité, » ou plutôt la nature et l’histoire, voilà les deux puissances auxquelles il faut s’adresser si