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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/255

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précédentes n’avaient point été de son goût : « Votre article me donne à penser que mon exposition vous a plu ; c’est un accident heureux parmi d’autres comptes-rendus qui m’éreintent ; je ne puis qu’être très sensible au témoignage de satisfaction qui me vient d’un ami. » Un jour, je causais de critique d’art avec lui et de la difficulté qu’un écrivain consciencieux éprouve à dire ce qu’il pense et à ménager les susceptibilités souvent excessives des artistes ; il me répondit : « Si l’appréciation de nos tableaux est favorable, nous les vendons bien ; si elle est sévère, nous les vendons moins cher ; voilà pourquoi nous attachons de l’importance à la critique imprimée. » Cette réponse qui me fut faite en 1867, pendant l’exposition universelle, ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd ; dès lors, et pour jamais, je renonçai aux Salons.

Eugène Fromentin eût volontiers été mondain si sa santé délicate et la fatigue du travail le lui eussent permis. Il aimait le bon accueil qui l’attendait dans les salons ; les complimens des femmes avaient du charme pour lui, il baissait modestement les yeux et savourait l’éloge ; beau causeur, éloquent par éclairs, se laissant parfois un peu trop entraîner à professer des théories esthétiques, il excellait, comme on dit, à tenir le dé de la conversation ; dès qu’il avait surmonté un premier embarras, il se faisait écouter. Malgré sa petite taille et son visage accentué, il avait dans le regard une finesse exquise, quelque chose qui était à la fois ironique et caressant. Sa patte était de velours, mais les grilles n’étaient pas loin ; on les devinait plutôt qu’on ne les sentait, car il se gardait de les montrer. Il avait de la coquetterie et ne s’épargnait pas à plaire ; grand « épistolier, » en outre, il a perdu des heures en correspondances futiles ; si on ouvrait certains tiroirs, on y trouverait bien des lettres, — des lettres charmantes, — écrites à plus d’une inconnue. On l’aimait beaucoup, on le redoutait un peu, et l’Institut l’eût appelé si sa vie n’avait été trop courte. J’ai souvent entendu poser cette question : Quelle était la qualité dominante de Fromentin ? Était-ce celle de l’écrivain ou celle du peintre ? La réponse, à mon humble avis, ne peut faire doute : Fromentin était surtout un écrivain. Ni aucun de ses tableaux choisi en particulier ni son œuvre prise dans son ensemble ne vaudra jamais l’Été dans le Sahara. C’est bien là un livre unique, un modèle de description dont nul, pas même Théophile Gautier, n’a approché. Jamais la sensation de la lumière, de la chaleur et de l’aridité n’a été rendue avec une telle puissance. Ses procédés sont simples, sans emphase, sans recherche des mois étranges qui eussent été justifiés pur l’étrangeté des aspects que l’on met sous les yeux du lecteur. C’est une bouffée de vent du désert passant sur les sables. La vérité de ce livre est implacable comme le ciel sous