la farce devient si patente qu’ils comprennent subitement, et les éclats de rire sont universels. Comme de vrais enfans, ils sont ravis. Seules, les attitudes des Bédouins restent toujours impassibles.
13 mars.
Je suis retournée aujourd’hui chez la princesse Mansour, la demi-sœur du vice-roi, fille aînée et préférée de l’ex-khédive. Elle est intelligente, elle a tant de goût et tant de charme, sa maison est si belle que j’ai un vrai plaisir à y aller. Son harem est de beaucoup le plus élégant de ceux du Caire et la recherche de son luxe dépasse tout ce que l’Européenne la plus raffinée peut rêver. J’ai ouï dire que les dépenses de la princesse ont également dépassé les limites de ce que nos imaginations bornées pourraient concevoir, et je ne m’en étonne pas en voyant la grosseur de ses diamans, les beaux bijoux de ses esclaves, leurs toilettes exquises et le charmant luxe de ses appartenons. Elle-même se met à ravir. Je l’ai vue l’autre matin faisant une visite à la vice-reine et j’aurais aimé la peindre, en robe de satin blanc, couverte de riches dentelles, ainsi que la veste un peu lâche comme la portent les femmes d’Orient sans corset. Un frou-frou de dentelle, des plus parisiens, entremêlé de fils d’énormes perles, avec une longue broche de diamans, lui encadrait le cou, et sur ses beaux cheveux naturellement roux une gaze blanche et de la dentelle enroulée étaient retenues par un croissant de perles. Assise sur un divan, sa longue traîne s’enroulant autour de petits pieds chaussés de satin blanc brodés de perles, Tewfika-Hanum était une vraie princesse des Mille et une Nuits.
Elle m’a montré aujourd’hui sa chambre à coucher, son lit d’argent massif acheté à l’exposition de Paris. Elle est adroite comme une fée, active comme une Française. Elle surveille elle-même son immense maison, ce qui est fort rare chez les Orientales, et elle passe son temps à orner, à embellir ses salons. Les draperies anciennes d’or et de broderies sont attachées et relevées par elle sur le mur. Elle cloue, brode, tapisse, noue, chiffonne comme la plus adroite Parisienne, et en vraie grande dame elle en est toute fière ; aussi les pièces sont-elles ravissantes. Tout ce que le luxe, le goût oriental et européen peuvent réunir y est accumulé par elle. De grands palmiers dans les coins, des meubles curieux, des portières, des étoffes splendides, mille charmans bibelots épars, de beaux chiens, une vue incomparable sur la ville et le Mokattam embellissent cette maison, qui semblerait cependant une prison aux femmes d’Europe. La princesse, qui adorait son père, n’est jamais retournée