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sceaux, le cours de la justice était suspendu ou menacé par l’ennemi dans une partie du territoire, les magistrats du ministère public renouvelés par la délégation étaient partagés entre leurs devoirs professionnels, pour lesquels plusieurs se sentaient inexpérimentés, et les intérêts politiques qui formaient leur premier souci ; les correspondances entre les procureurs-généraux et le ministre étaient lentes et parfois supprimées, enfin certains sièges étaient livrés à une véritable anarchie.

À la fin de janvier et dans les premiers jours de février, M. Crémieux, dans l’exaspération de la lutte, avait prétendu user de ses pouvoirs dictatoriaux pour révoquer quinze magistrats inamovibles qui avaient fait partie en 1852 des commissions mixtes. À cette nouvelle, les protestations s’étaient élevées de toutes parts. En certaines villes, la justice avait cessé d’être rendue. Le garde des sceaux voulut que le premier projet dont il eût à saisir l’assemblée nationale fût destiné à effacer une telle atteinte au principe sur lequel il estimait que la magistrature tout entière était assise.

À Bordeaux, on entrevoyait plus d’un embarras, mais c’est à Versailles que les difficultés devaient s’amonceler. L’insurrection de Paris menaçait toute l’œuvre de paix que poursuivait le gouvernement. À la guerre étrangère elle substituait la guerre civile. Pendant qu’à la hâte et avec une rapidité dont l’histoire ne se montrera jamais assez reconnaissante envers M. Thiers, une armée était reconstituée, le gouvernement cherchait à enlever tout prétexte aux plaintes de Paris. À côté des criminels qui étaient à la tête de l’insurrection, il y avait une foule d’habitans, de commerçans paisibles qui s’étaient laissé séduire par d’absurdes mots d’ordre. Ce qui au début rendit la commune possible, ce fut la terreur des petits débiteurs, redoutant également le paiement des échéances et des loyers. Le garde des sceaux pourvut d’abord aux échéances, puis il dut s’occuper des locataires.

C’est sous le coup des plus violentes émotions, alors que retentissait au loin le bruit incessant du canon, que l’assemblée reçut communication de la loi sur les loyers. Au cours de la guerre sociale qui s’engageait à Paris, il se rencontra peu de problèmes plus difficiles et plus nécessaires à résoudre. M. Dufaure eut la pensée de chercher la solution dans la constitution de juridictions arbitrales, où figureraient, sous la présidence du juge de paix, deux propriétaires de l’arrondissement et deux locataires. Ces petits jurys auraient le droit d’accorder de longs délais et même de prononcer la remise de l’un des quatre termes de cette douloureuse année. Concession fâcheuse, suivant certains jurisconsultes, transaction contraire au droit et qui mettait à néant le respect des conventions !