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de crânes et de squelettes. Indifférentes à cette mort qui les entoure et semble les guetter, des jeunes femmes en robe de soie prient et chuchotent. C’est pourtant là que se révèle dans son horreur l’essence même du christianisme du moyen âge, le mépris fanatique de la vie riante : « Père, dis-je à un capucin qui se trouvait là, quel désordre au jugement dernier, quand ces crânes, ces bras et ces jambes devront se retrouver, s’adapter les uns aux autres ! — Oui, répondit le moine sérieux, au jugement dernier, quand les morts ressusciteront, il y aura là un grand cliquetis d’os ! » Ce goût des représentations de la mort et de la souffrance se retrouve dans les fresques de San-Bartolomeo et de San-Stéfano-Rotondo, qui expriment des supplices et des tortures avec un réalisme atroce et pourraient former la galerie d’un bourreau. Une religion exposant dans ses temples de pareils spectacles eût semblé à des Grecs un vrai culte de cannibales, eux dont l’art se refusait à exprimer l’horreur de la mort, qui la peignaient sous le paisible et discret symbole d’un génie avec une torche renversée et qui gravaient sur leurs sarcophages des scènes d’amour et de volupté. — En quittant cette chapelle mortuaire, notre guide se rend à un théâtre de marionnettes ; la fureur de la populace de Rome pour les jeux du cirque s’est concentrée de nos jours sur le polichinelle romain lequel « rit et danse à côté des catacombes et des crânes, aussi à l’aise que le grillon dans l’herbe des palais ruinés des Césars et le lézard vert aux reflets d’or qui grimpe le long du tombeau de Cécilia Metella. » — Voici maintenant qu’au sortir du théâtre nous rencontrons en longues files des moines de toute couleur, fantômes du passé : arrêtons-nous devant ce lit de parade où est exposé un cardinal mort. C’est Lambruschini, l’ambitieux Génois : il faillit être pape comme tant d’autres et se vit préférer un de ses anciens protégés, le pauvre comte Mastaï Ferretti. Devant le cadavre dont la figure de cire se détache sur une robe de pourpre, M. Gregovorius récite, en guise de prière, le passage suivant du Don Quichotte : « Il en est de la comédie comme de la représentation de ce monde, où quelques-uns jouent les empereurs, d’autres les papes ; bref, autant de personnages que la scène en peut produire ; mais quand on arrive au dénoûment, C’est-à-dire quand la vie est terminée, la mort leur enlève à tous les costumes qui les distinguent, et dans leurs tombeaux ils se ressemblent tous. »

A Rome, l’image de la mort nous hante ; partout des ruines et des tombeaux ; l’air est rempli de papes morts et de Césars morts. En foulant cette poussière immortelle, on pense au vers du poète :

: Terrain éher et sacré, fait d’alluvions d’âmes[1].
  1. Mme Ackermann, le Déluge.