élections tardives, en lui montrant le ministère se cachant à tout instant derrière le maréchal, blessaient son respect de la responsabilité ministérielle. Il lui semblait qu’après la faute du 16 mai il n’y en avait pas de plus grande que de compromettre la personne du président de la république et d’user sans profit d’une influence qu’il eût fallu mettre en dehors et au-dessus de la lutte. Le résultat des élections ne le surprit pas ; mais il fut consterné d’apprendre qu’il existait des conseillers assez aveugles pour proposer au maréchal une nouvelle dissolution ; le mois de novembre se passa à supputer les chances d’une seconde campagne. Dans le désarroi de la défaite, on écouta toutes les propositions pour éviter l’appel aux adversaires du 16 mai, même les moins bruyans, ce qui semblait une capitulation inacceptable. On multipliait les plans de campagne pendant que la chambre des députés, maîtresse du budget qu’elle refusait de discuter, se préparait aux événemens. Jamais conflit plus aigu n’avait excité plus vivement les esprits. M. Dufaure se demandait avec anxiété si la France allait être jetée dans la guerre civile. Seul, M. d’Audiffret-Pasquier, au commencement de décembre, avait osé parler avec franchise au maréchal. S’il était suivi par ses amis, les plus grands malheurs pouvaient être évités. Dans des réunions peu nombreuses, mais qui suffisaient à déplacer la majorité dans le sénat, M. Bocher tint, au milieu des constitutionnels, le langage le plus courageux et le plus net : ses amis et lui ne suivraient pas le président dans une nouvelle campagne de dissolution ; il fallait que le maréchal, après avoir consulté le pays, se résignât à gouverner parlementairement comme on gouverne dans tous les états d’Europe. C’était la condamnation de la politique violente. M. Dufaure fut appelé. Ses conditions étaient précises : un cabinet homogène et indépendant ; une déclaration publique du maréchal proclamant que son gouvernement rentrait dans les voies parlementaires, et l’adhésion à deux projets de loi sur le colportage et sur l’état de siège. Elles ne furent acceptées que trois jours après, lorsque toute espérance d’un cabinet de droite, caressée jusqu’à la dernière heure, se fut définitivement évanouie devant la fermeté des constitutionnels.
Jamais président du conseil n’était entré au pouvoir dans des conditions plus difficiles. Entre la chambre et lui, aucun accord de tempérament ; entre le chef de l’état et son premier ministre, un fond d’estime sincère pour le caractère, mais peu d’idées politiques communes, une alliance imposée par les événemens et rappelant sans cesse à l’un des deux sa défaite. En un mot, M. Dufaure, placé entre les deux adversaires, n’avait de force vis-à-vis de la chambre que parce que sa présence était le signe visible d’une victoire que les amis du maréchal tenaient pour une humiliation. Il fallait le renom d’inébranlable fermeté de M. Dufaure pour faire tenir debout, au