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pour leur beauté propre. Ce point de vue trop exclusif est surtout sensible dans son Histoire de la ville de Rome au moyen âge ; la partie qui touche à la renaissance n’y a pas toute l’importance et tous les développemens qu’on voudrait.

Enfin, l’observation exacte des personnages et des monumens, théâtres des générations évanouies, outre qu’elle en est le contrôle et le témoignage le plus clair et le plus certain, devient un stimulant pour l’imagination trop encombrée d’idées abstraites, parfois même une source d’inspiration imprévue. Se trouvant un jour à Saint-Pierre de Rome, notre historien raconte qu’il s’arrêta, saisi d’étonnement à la vue du pape Paul III, Farnèse, appuyé sur son tombeau. Il considère avec attention les autres monumens funéraires que renferme la métropole de la chrétienté. En présence de ces papes assis sur leurs sarcophages, la main solennellement étendue dans un geste de commandement, il lui semble qu’il se trouve au milieu d’un sénat de dieux, tout au moins de vice-dieux, comme on désignait parfois les papes au moyen âge. Excité par ce spectacle, dise décide à suivre tous les tombeaux des papes, d’église en église, de ville en ville, et se rend jusqu’à Avignon pour se représenter, non plus d’après les livres, mais, d’après le relief des monumens, d’après la vérité ou la louange exagérée des inscriptions latines, toute l’histoire de la papauté. Le petit ouvrage intitulé Monumens funéraires des papes[1] est un précis sans sécheresse de toute cette histoire, une manière de vestibule où seraient exposés tous les bustes des saints-pères. Ces figures de vicaires du Christ, de dictateurs spirituels de la chrétienté sont aussi intéressantes à considérer que les bustes des césars romains. Notre historien observe avec une minutie d’antiquaire jusqu’à la coupe de leurs barbes saintes, dont il décrit en ces termes les variations : « Depuis des siècles, aucun pape jusqu’à Jules II n’avait porté de barbe. Il lui convenait bien d’être le premier qui prît cette enseigne de force virile. François Ier, Charles-Quint et leurs courtisans imitèrent, dit-on, son exemple, quoique les successeurs immédiats de Jules II paraissent de nouveau rasés. Clément VIIe fît revivre cet usage, lorsqu’après le pillage de Rome par les mercenaires du connétable de Bourbon, il laissa croître sa barbe en signe de douleur. Depuis, dans les monumens funéraires qui suivent jusqu’au XIXe siècle, on rencontre ces têtes de papes barbus. Ce ne sont pas toujours barbes d’apôtre, qui donnent du moins une dignité patriarcale ; nous considérons avec étonnement ces visages de saints-pères, qui promènent du haut de leurs sarcophages des regards pleins d’une ardeur martiale, avec de grosses

  1. Die Grabdenkmäier der Päpste, Marksteine der Geschichte des Papsttums, 2e édit. ; Leipzig, 1881. Traduit en français par M. Sabatier, d’après la 1re édition.