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rêves ou les passions de ces généreux esprits, quand l’analyse la dépouille de ces prestiges que lui confère ou la beauté de reflet empruntée à des idées d’un ordre tout différent, ou le charme souverain de l’éloquence et de la poésie !

Il y a là tout un groupe d’illusions qui persistent dans les principaux représentans des écoles nouvelles. Leur grande prétention est de ne pas enlever à l’homme une seule de ses nobles jouissances et même de les garantir en leur donnant un point d’appui inébranlable dans la réalité. A les entendre parler, on s’y tromperait facilement. Ils revendiquent le droit de considérer la moralité comme le but le plus élevé, la fin vers laquelle doit tendre chacun de nos actes. Pour eux comme pour les spiritualistes de toute nuance, elle n’est ce qu’elle est qu’à une condition, c’est qu’avec elle nous pensions avoir les plus hautes raisons de vivre, et que sans elle nous perdions tout. Mais pour se maintenir en accord avec eux, il est prudent de ne pas les contraindre à s’expliquer. Toute explication poussée à bout aurait chance de détruire le charme qui produit ces illusions et cet accord momentané. Il est trop aisé de voir à quoi se réduit ce souverain bien, quand on le ramène aux données strictes de la philosophie positive. Elle suppose nécessairement que la vie présente contient en soi la possibilité d’un certain genre de bonheur accessible à tous et supérieur à tous les autres. Ce n’est plus comme dans les doctrines qui se ménagent un crédit illimité sur la justice de Dieu et qui ont à leur disposition le double trésor de l’idéal et de l’éternité. Ici, la fin, par laquelle se détermine le système moral, cette fin, la seule chose qui soit vraiment digne d’être atteinte, doit l’être dans cette vie et non pas ailleurs. Il faut qu’elle puisse être cherchée dans l’existence présente, sur la surface de la terre, dans les limites de temps où peuvent exister la vie et la conscience, en dehors de toute conception d’un être transcendant, de toute idée ou de toute loi impérative, de toute force supérieure aux forces qui agissent dans ce monde.

En quoi donc peut consister pour un positiviste logique et conséquent ce bien suprême qui contient à la fois le secret de notre vie et la règle de ; toute notre conduite[1] ? On remarque que les positivistes parlent toujours de la vie comme si le bonheur personne ! en devait être le couronnement, et sitôt qu’on leur demande d’expliquer la nature de ce bonheur, ils changent de terrain et nous répondent en exposant les conditions et les lois du bonheur social. Grâce à cette confusion perpétuelle de points de vue, ils peuvent demeurer d’accord en apparence avec le langage

  1. W. Mallock, p. 43, 52, 104, passim.